Lors de cette soirée franco-australienne un peu ennuyeuse, j'ai été gagné par le désir de rejoindre l'autre côté de la planète, de visiter cette grande île triangulaire dont la forme étrange me plaisait. Je me prenais pour un explorateur d'autrefois: "Comment seulement l'aborderais-je, pensais-je, et quels risques insensés! pour une chance si infime d'atteindre mon but. Qu'aurais-je à apporter finalement, à cette terre comme aux autres? En toute chose je ne veux être qu'un voyageur, jamais un cultivateur, ni même un jardinier... Et n'ai-je pas dépassé l'âge du voyage? Que pourrais-je trouver désormais qui n'exigerait pas de moi un attachement solide? Je rêve!... Je rêve quand je crois qu'il me suffirait d'agir en touriste pour satisfaire et être satisfait... Avec quels moyens, d'ailleurs, pourrais-je seulement satisfaire? Comme si ma connaissance pouvait être un cadeau pour quiconque!"
Je méditais déjà tout cela quelques heures auparavant, tandis que j'errais sans but dans des quartiers sombres et vides de Londres, espérant l'inespérable, avant que la rencontre du "diable de Tasmanie" me fasse comprendre l'absurdité de mes tentations. Ainsi, je suis persuadé qu'au moment de partir je ne saurais même pas comment me préparer, ni que faire; je resterais stupidement interdit devant l'avion, n'osant marcher un pas de plus, pesant le pour et le contre; et quand bien même j'embarquerais finalement, comme je l'ai fait il y a longtemps, je serais surpris et attentiste, gauche - comportement que l'on peut à la limite excuser à l'adolescent qui part pour la première fois au long cours, de l'autre côté de la planète, mais jamais à l'homme de trente ans! C'est l'avantage et l'inconvénient du temps qui passe: on ne peut plus faire l'innocent, ni prétendre être là par hasard.
Oui, et il serait temps pour moi de me mouvoir dans ce monde, au lieu de m'abriter derrière pseudonymes et masques, de troquer ma sécurité précaire contre la solide assurance de ceux qui, comme le "diable de Tasmanie", habitent réellement la terre ou, pour utiliser une métaphore de plus, ne sont pas les locataires de leur existence, aux baux sans cesse réajustés et menacés de résiliation, mais en ont acquis, à force d'échecs assumés et de confiance en l'avenir, les titres de propriétés irrévocables!
Ou peut-être me faudra-t-il définitivement admettre que je n'irai jamais en Tasmanie, que j'y trouverai de toute façon les mêmes paysages, les mêmes joies et peines que dans les régions tempérées où je réside, que ce n'est donc pas un renoncement très regrettable, et que, par conséquent, il vaudrait mieux cesser d’écrire à ce sujet.
Je méditais déjà tout cela quelques heures auparavant, tandis que j'errais sans but dans des quartiers sombres et vides de Londres, espérant l'inespérable, avant que la rencontre du "diable de Tasmanie" me fasse comprendre l'absurdité de mes tentations. Ainsi, je suis persuadé qu'au moment de partir je ne saurais même pas comment me préparer, ni que faire; je resterais stupidement interdit devant l'avion, n'osant marcher un pas de plus, pesant le pour et le contre; et quand bien même j'embarquerais finalement, comme je l'ai fait il y a longtemps, je serais surpris et attentiste, gauche - comportement que l'on peut à la limite excuser à l'adolescent qui part pour la première fois au long cours, de l'autre côté de la planète, mais jamais à l'homme de trente ans! C'est l'avantage et l'inconvénient du temps qui passe: on ne peut plus faire l'innocent, ni prétendre être là par hasard.

Ou peut-être me faudra-t-il définitivement admettre que je n'irai jamais en Tasmanie, que j'y trouverai de toute façon les mêmes paysages, les mêmes joies et peines que dans les régions tempérées où je réside, que ce n'est donc pas un renoncement très regrettable, et que, par conséquent, il vaudrait mieux cesser d’écrire à ce sujet.