dimanche 1 décembre 2013

Requiem (3)

Je m'étais arrêté à la surface de la beauté, oui. J'ai été fasciné par l'enchaînement magique des mots, sans m'assurer que j'attribuais à chacun sa place exacte, sans me soucier aucunement du sens, ni d'offrir une connaissance du visible ou de l'invisible. Le résultat ne pouvait qu'être faible, si l'on excepte quelques spontanéités fortuites- c'était aussi le risque de la rime qui transforme tout en jeu - mais, d'abord, comment ai-je pu croire qu'écrire serait chose facile?
Pour citer Jean Clair*, "comme un nouveau riche dilapide ses trésors (...) j'ai été trop léger" - mais plus que cela, j'ai manqué de respect à la langue. Je suis entré dans la mosquée, avec mes chaussures crottées, les mains prêtes au sacrilège, je me suis tourné dans la mauvaise direction, et j'ai ânonné sans honte des paroles incohérentes. J'ai interprété l'hermétisme en vogue dans la poésie du XXe siècle comme une licence d'écrire n'importe quoi, de me reposer sur des clichés ou des associations chanceuses, "narcisse exsangue", tandis que de vrais poètes, travailleurs et habités, d’authentiques "voyants" non grisés par l'ivresse de leur propre verbe, tissaient au contact du monde une œuvre à même de l'envelopper.
Et au lieu de craindre le regard des autres, j'aurais dû m'y soumettre, récolter leur ricanement, progresser... Est-il trop tard? N'est-ce pas maintenant que je devrais-mener cette entreprise, au plus fort de mon enthousiasme, maintenant que j'ai compris une ou deux choses, et que je sais auprès de qui je dois poser mon chevalet?