jeudi 25 septembre 2014

Sur le bonheur

Quant aux élections présidentielles turques du mois dernier, que j'ai oublié de commenter en leur temps, je crois qu'il n'y a pas grand chose à dire. Ni la corruption, ni la violence, ni la démesure, n'ont suffi à faire changer d'avis les électeurs (avaient-ils beaucoup de choix?). Sans doute faut-il enfin reconnaître que le radicalisme islamique correspond à un désir profond des sociétés musulmanes, qui aspirent à vivre selon des valeurs différentes: même si nous les considérons nocives et mal-fondées, qui sommes-nous pour juger? La liberté individuelle n'est peut-être pas le criterion du bonheur collectif... (je me refuse à y croire, mais personne ne me demande de vivre dans une telle société!).
L'expérience de la laïcité nationaliste turque n'a certes pas été si positive. Et il faut sans doute accepter que nos modèles soient mis en échec, pour en tester la robustesse. Combien faudra-t-il de victimes collatérales? Tous ces amis de Gezi et d'ailleurs, dont l'avenir est obscurci, dans un pays qui va se refermer lentement sur eux... J'aimerais me tromper.

Quoiqu'il en soit, les djihadistes de "l’État islamique en Irak et au Levant" (quel nom usurpé!) devraient méditer l'expérience de leurs voisins avant de vouloir imposer leur "califat" par une violence qui ne les mènera qu'à l'anéantissement (alors qu'ils étaient jusque récemment plus que tolérés).  Le califat se crée déjà sous nos yeux en Turquie, de façon somme toute paisible et démocratique pour une révolution de cet ordre. Il n'y a pas de regret à avoir. C'est un pays que j'ai aimé et que j'aime, dont je continuerai à suivre l'évolution, mais ce n'est pas mon pays*.

lundi 22 septembre 2014

Un homme heureux

A propos de rencontres, je me souviens de cet ami d'ami d'amie avec qui nous avons déjeuné à Ortaköy (c'est amusant d'observer ces souvenirs remonter à la surface, plus d'un an après). Il était producteur de télévision, bel homme, l'air direct et heureux, sportif - il revenait d'une croisière en catamaran dans les îles grecques avec sa famille. Il habitait une maison à Kandilli, traversait le Bosphore tout les matins pour prendre son scooter à Bebek et monter en cinq minutes au studio. Puis il empruntait le chemin inverse le soir, dans ce paysage somptueux, pour retrouver sa (très belle) femme et ses deux enfants, dont il me montrait des photos sur son téléphone. Les weekends, il partait avec son bateau amarré en contrebas, et voguait vers les îles... Me méfiant de ce récit trop parfait, pourtant dit avec modestie et sans volonté d'impressionner, j'ai posé des questions détournées pour découvrir des failles, quelque problème de santé, des difficultés d'affaires dans le contexte politique chahuté, des doutes sur l'avenir, mais je n'ai rien trouvé. C'était comme s'il était en train de vivre un de mes vieux rêves enfouis...

*

Je comprends maintenant en quoi cet homme était extraordinaire. Je n'avais jamais entendu quelqu'un déclarer aussi ouvertement son bonheur au premier venu, surtout en France (est-ce par superstition? pour ne pas attirer le "mauvais œil" ou l'attention du fisc?): mes amis ayant "de belles situations" se plaignent qu'ils travaillent trop, les autres qu'ils ne travaillent pas assez, tous se lamentent des prix de l'immobilier, ceux qui ont des enfants regrettent de ne plus pouvoir dormir, les autres s'effraient du silence qui les menace, les moches râlent, les beaux s'inventent d'autres problèmes, rien ne va... Certains finissent par avouer une forme d'équilibre - mais lui vivait un équilibre si haut!

Etais-je envieux? A vrai dire, même pas. J'ai simplement eu l'impression de ne pas faire partie de la même humanité, de ne jamais pouvoir faire qu'observer un pareil accomplissement - et demande-t-on au spectateur ébloui, quand la lumière se rallume dans la salle, s'il est jaloux du cinéaste qui a créé le chef d’œuvre qu'on vient de projeter? A vrai dire, j'étais presque heureux d'apprendre - assis à la terrasse ensoleillée d'Ortaköy - qu'un tel bonheur pouvait exister sur cette terre, j'en suis presque heureux en y repensant!

A l'est d'Erzurum

"A l'est d'Erzurum, la piste est très solitaire..."

Par paresse je cherchais la citation de Nicolas Bouvier* sur Internet au lieu de la recopier depuis le livre, et je suis tombé sur ce blog éphémère, que son auteur a dû abandonner quand il s'est rendu compte que ses seuls lecteurs étaient "des robot d'indexation Google"...

"(...) Au loin une rangée de peupliers dont les branches nues se découpent sur l'horizon crépusculaire. Je ne sais si c'est l'émotion de cette belle lumière propagée dans l'air glacé mais je me sens apaisé, ouvert: quelques gouttes de mélancolie dissoutes dans l'eau de mon corps.
Je reconnais ce sentiment. Il me fait vibrer à basse fréquence comme le son d'une corde. Pourtant je me sens moins aiguisé qu'à l'adolescence, quand mes cheveux étaient gras et que j'étais bassiste. Peut être que c'est ça grandir, s'émousser. On dit de moi que je suis spontané. On dit que j'ai l'esprit vif mais je peine à m'émouvoir."

"Son regard était clair, baigné d'instinct maternel. C'était ce qu'elle avait de plus beau ce regard sûr et affectueux et ses yeux bleus gris. Le regard d'une mère. Elle était belle. Je me réjouis du jour où je regarderais Lucile par-dessus la table du petit déjeuner dans un moment de lucidité trop rares au rythme de la vie moderne. Son regard léger du matin porté sur moi, les cheveux grisonnants, les rides au coin des yeux et des lèvres à force de sourires et le doux teint de peau des femmes de 40 ans."

"Je me souviens à midi du quai de gare ensoleillé exposé au vent frais, les vitres paysages tapissées d'une épaisse couche de poussière brune à travers lesquelles je reconnaissais sa façon de marcher, le dos courbé par un volumineux sac de randonnée. Nous nous souriions tout les deux, sans oser pleurer, sans savoir quoi faire de ce moment précieux. Tristesse effleurée. Lorsque le train s'éloignait j'étais presque surpris de la simplicité apparente de nos adieux. J'ai le sentiment aujourd'hui de n'avoir rien compris à ces moments, de n'avoir rien partagé de mes tristesses, pertes et solitudes.
A quoi sert l'amour sinon? On peut bien partager ses joies avec le cafetier. "

Analyses de quelques nuages (2)

Sur ces moments de grande quiétude, je cite ce prodigieux passage du Voyage en Égypte* de Flaubert (livre glané dans la bibliothèque des Della Rovere, et qui fut une des heureuses découvertes de cet été*):

"Coucher de soleil sur Medinet-Abou. Les montagnes sont indigo foncé (côté de Medinet-Abou) ; du bleu par-dessus du gris noir, avec des oppositions longitudinales lie de vin, dans les fentes des vallons. Les palmiers sont noirs comme de l’encre, le ciel rouge, le Nil a l’air d’un lac d’acier en fusion. Quand nous sommes arrivés devant Thèbes, nos matelots jouaient du tarabouk, le bierg soufflait dans sa flûte, Khalil dansait avec des crotales ; ils ont cessé pour aborder. C’est alors que, jouissant de ces choses, au moment je regardais trois plis de vagues qui se courbaient derrière nous sous le vent, j’ai senti monter du fond de moi un sentiment de bonheur solennel qui allait à la rencontre de ce spectacle, et j’ai remercié Dieu dans mon cœur de m’avoir fait apte à jouir de cette manière ; je me sentais fortuné par la pensée, quoiqu’il me semblât pourtant ne penser à rien, c’était une volupté intime de tout mon être."

Dans le même ordre d'idée, ce passage de Nicolas Bouvier* (on ne pourra pas dire que je ne gâte pas mes rares visiteurs... et quoiqu'il en soit, j'aurai lu ce qu'il fallait lire!):

"A l'est d'Erzurum, la piste est très solitaire. De grandes distances séparent les villages. Pour une raison ou une autre, il peut arriver qu'on arrête la voiture et passe la fin de la nuit dehors. Au chaud dans une grosse veste de feutre, un bonnet de fourrure tiré sur les oreilles, on écoute l'eau bouillir sur le primus à l'abri d'une roue. Adossé contre une colline, on regarde les étoiles, les mouvements vagues de la terre qui s'en va vers le Caucase, les yeux phosphorescents des renards. Le temps passe en thés brûlants, en propos rares, en cigarettes, puis l'aube se lève, s'étend, les perdrix et les cailles s'en mêlent... et on s'empresse de couler cet instant souverain comme un corps mort au fond de sa mémoire, où on ira le rechercher un jour. On s'étire, on fait quelques pas, pesant moins d'un kilo, et le mot bonheur parait bien maigre et particulier pour décrire ce qui vous arrive.
Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur."

Il me semble avoir lu quelque chose de similaire dans Rousseau, mais ce souvenir des Rêveries* date de plus de quinze ans: on ira vérifier.

dimanche 21 septembre 2014

Sur Istanbul (3)

La phrase que l'on entend tout le temps chez les amis stambouliotes de plus de cinquante ans et chez leurs enfants se retrouve aussi dans le livre de Sébastien de Courtois: "Istanbul est une ville qui devient sans culture et sans histoire, il y a un tel renouvellement de population qu'elle change avec chaque génération. La mémoire se perd et ceux qui en sont les gardiens sont mal vus, perçus comme des êtres élitistes alors que, au contraire, la ville dont ils parlent était beaucoup plus ouverte et généreuse que celle que l'on nous présente aujourd'hui." 
Il est vrai que la façon dont les autorités (et ses habitants?) considèrent leur ville est assez lamentable: destructions, parcs laissés dans un abandon complet (quand il y en a), et, pour les monuments qui ont l'heur de plaire au parti, restaurations/reconstructions dans un style plus proche de Disneyland que de Soliman le magnifique... On ne sait pas s'il faut incriminer la pauvreté ou la prospérité, sans doute un peu des deux.

*

Malgré tout, quand on lit le Constantinople de Théophile Gautier*, il y a des similitudes étonnantes. Tout a changé, et pourtant... Parce qu'il s'est attaché aux détails, à la nature, aux hommes, plutôt qu'à des bâtiments détruits ou à des systèmes politiques changeants, Gautier fait surgir des expériences qui se reproduisent fidèlement à cent cinquante ans d'intervalle. Son récit des nuits de ramadan et de leur atmosphère de kermesse par exemple (remarque en passant: les kiosques en bois installés le long de la place Sultanahmet, l'ambiance bon enfant, les souvenirs en toc, et les multiples tentations gustatives, m'ont surtout évoqué le marché de noël de Strasbourg...).
Même sensation dans sa description du quartier de Vefa, derrière la Sülemaniye*.  J'y cherchais une église oubliée, quand je me suis soudain retrouvé dans une zone silencieuse, à moitié en ruine (en prévision d'une opération immobilière?), peut-être squattée par des réfugiés d'autres quartiers ou d'autres provinces (?). Il n'y avait absolument personne. Et voici, mot pour mot, ce qui s'est passé: "A mesure que nous avancions, la solitude se faisait ; les chiens, plus sauvages, nous regardaient d'un œil hagard et nous suivaient en grommelant. Les maisons de bois déteintes, chancelantes, avec leurs treillis démaillé, leurs étages hors d'aplomb, présentaient an aspect de cages à poulets effondrées. Une fontaine en ruines laissait filtrer son eau, extravasée dans une conque verdie; un turbé démantelé envahi par les ronces, les orties et les asphodèles, montrait dans l'ombre, à travers ses grilles obstruées de toiles d'araignée, quelques cippes funèbres penchant à droite et à gauche et n'offrant plus que des inscriptions illisibles; un marabout arrondissait son dôme grossièrement plâtré de chaux et flanqué d'un minaret semblable à une chandelle coiffée de son éteignoir ; au-dessus des longs murs, jaillissaient des pointes noires de cyprès, ou se déversaient sur la rue des touffes de sycomores et de platanes; plus de mosquées aux colonnes de marbre, aux galeries mauresques, plus de konacks de pacha peints de vives couleurs et projetant leurs gracieux cabinets aériens, mais par places de grands tas de cendres au milieu desquels s'élèvent quelques cheminées de briques noircies restées debout, et sur cette misère et cet abandon, la pure, blanche, implacable lumière d'Orient, qui fait ressortir cruellement la tristesse de chaque détail."

Sur Istanbul (2)

Pour le peu de temps que j'y ai passé, ma vie à Istanbul a été très différente de celle d'ailleurs. J'y ai fréquenté un monde que je n'ai jamais connu par exemple à Paris, des architectes, des artistes, des professeurs, etc. Hasard? Mais en lisant Un thé à Istanbul, je me rends compte que Sébastien de Courtois a rencontré des personnes similaires, en plus brillantes encore, et fréquenté les mêmes quartiers. Je peux supposer que Sébastien de Courtois a dû trouver le reste de la ville et de ses habitants bien monotones quoique pittoresques. Comment aller ailleurs, et qui voir d'autre?
On peut se reposer sur un cliché du Bosphore, sur les plaisirs de la table, sur quelques notes de saz... A distance cela fonctionne, mais de près? La joie de vivre se craquèle vite sur de profondes failles, au détour d'une conversation ou quand on a poussé une porte inattendue, qui ouvre sur une autre porte, qui ouvre sur une autre porte... Mais l'essentiel demeure secret.
Par exemple, cette connaissance rapidement aperçue et dont j'ai pu reconstituer le problème en discutant avec sa sœur et un de ses amis: "étudiant à vie", prolongeant son cursus à Istanbul, à Lyon, à Izmir, agréable mais accablé par la dépression: j'ai compris qu'il poursuivait ses études uniquement pour ne pas faire son service militaire, parce qu'il est terrorisé à cette idée (sans doute, ayant quelques liens arméniens, a-t-il en mémoire l'affreuse affaire Sevag Şahin Balıkçı* et craint-il pour sa vie?). Il est bloqué, comment ne pas être dépressif? C'est autre chose que nos petits problèmes de cul* et de travail!
Différences fondamentales ou anecdotiques... Une journaliste faisait remarquer que la Turquie est un pays où l'on rit très peu, et où il est même très mal vu de sourire. Un autre détail frappant: l'uniformité des couleurs de vêtement (même dans les quartiers "occidentalisés"), noir, bleu très foncé, ou le plus souvent maronnasse et beigeasse - pas étonnant que la Kırmızılı Kadın soit devenue contre son gré le symbole de la révolte de Gezi!
Cet aspect glauque et sinistre de la Turquie m'avait sauté aux yeux lorsque j'étais arrivé par le train de Zeitinburnu, puis dans le tramway d'Aksaray (pour faire des économies et parce que je ne connaissais rien, j'avais évité le bus): une pluie brusque venait de s'abattre, je ne savais pas où aller, je ne comprenais plus ce que j'étais venu faire ici... J'ai été pris d'un désespoir profond.

L’expérience désastreuse de Nicolas Bouvier* résume bien ce sentiment: "Sur la rive d’Asie, les étourneaux ricanaient tendrement dans le feuillage des sorbiers. Le long des rues étroites qui montent vers Moda, dans des tavernes éclairées à l’acétylène, les portefaix et les chauffeurs, assis devant leur lait caillé, épelaient lentement le journal, lettre par lettre, faisant retentir tout le quartier d’une incantation murmurée d’une extraordinaire tristesse. L’automne putride et doré qui avait saisi la ville nous remuait le cœur."

Sur Istanbul (1)

D'abord, Un thé à Istanbul* (prétentieusement sous-titré "récit d'une ville"), par Sébastien de Courtois. Le livre commence mal: "Je me dois à une certaine franchise. Lecteur, je t'écris d'une île. Oh, pas une des ces îles que l'on imagine en fermant les yeux et dont les reflets s'en vont avec la rosée"... On imagine déjà la Français istanbulolâtre qui va nous asséner mille clichés sur la "ville des villes"* ou le faufilement de l'appel à la prière au dessus des collines*. Pourtant, on se prend rapidement au jeu des rencontres et les phrases font écho à différents expériences vécues, impressions légitimes. Je ne sais pas si cela suffit pour en faire le récit d'une ville, c'est davantage le récit de la vie somme toute habituelle que j'ai connue aux amis français qui y résidaient: soirées à Beyoğlu, discussions avec quelques intellectuels (pas de moindres!), amitiés solides ou éphémères...

La réponse à cette interrogation se trouve dans un passage du livre (que je ne parviens à plus à retrouver), où l'auteur remarque, lors d'un dîner à Hong-Kong, que tous les invités semblent fascinés par le fait qu'il habite à Istanbul. C'est comme si la ville avait donné à son résident même temporaire un attrait particulier, comme s'il gardait encore sur lui quelques poussières de la légende, et comme si tout se qui s'y déroule, même des faits insignifiants, devait porter la marque de l'histoire et de l'éternité... On connaît la phrase de Napoléon que les Turcs répètent à l'envi* - mais pour en faire la capitale du monde, il aurait fallu commencer par ne pas en "renvoyer" toutes les minorités non-turques, et par laisser chacun vivre comme il le souhaite! "Il faudra cesser un jour de clamer la beauté d'Istanbul et son cosmopolitisme, me dit-il soudainement. C'est faux dans les deux cas. Istanbul n'est ni une belle ville ni cosmopolite!"

mercredi 17 septembre 2014

Causes écartées

Je me suis tenu à l'écart du débat sur le "mariage pour tous" (l'historien du futur ne devinera pas les hystéries et passions que ce sujet aura provoquées - le rejet très ferme du "vivre ensemble", de l'appartenance à la communauté nationale dont les conséquences se feront sentir longtemps, notamment dans les milieux "zurichois" que je connais bien). 
C'était plus par indifférence que par conviction.

Que la république valide l'union de deux citoyens qui veulent s'établir ensemble durablement, et l'affirmer publiquement, me semble légitime. C'est la nature même du mariage civil d'être un événement public (et non pas privé! il m'a fallu un moment pour le comprendre...), mais le mariage civil va au-delà: l'essentiel des articles se rapportent aux enfants, à leur éducation, etc. Le mariage civil me semble même bien plus orienté vers la filiation que le mariage religieux, avec sa mystique de l'union en Dieu - dans laquelle les enfants occupent finalement une place un peu résiduelle (sans doute les prêtres contemporains ont-ils quelques pudeur à évoquer la procréation durant la messe?).
Que les homosexuels souhaitent avoir des enfants, se comprend... Mais la notion de "droit à l'enfant" n'a aucun sens (ce n'est ni un besoin vital, ni un besoin civique). Je ne doute pas que des homosexuels puissent être de "bons parents", même s'ils devront faire preuve de beaucoup de persévérance (justement parce que la société dans laquelle leurs enfants évolueront n'y est pas prête). Toutefois, nous ne sommes plus dans une situation où des milliers d'enfants croupissent dans des orphelinats, donc l'utilité sociale de ces nouveaux parents me semble limitée. 

Quant à la "grossesse pour autrui", que ce soit pour des homosexuels ou des hétérosexuels, je ne comprends pas que ce soit une revendication appuyée par la gauche: il n'y a que dans un monde "ultra-libéral" extrêmement perverti que des riches puissent acheter le ventre d'une femme pauvre. La grossesse n'est pas un acte neutre - combien faudrait-il payer? Et même si une femme dans le besoin acceptait de s'y résoudre, l’État doit-il s'y résoudre? Cette cause me semble indéfendable et répugnante.

dimanche 7 septembre 2014

Napolitain vaincu

Dans la série des déceptions estivales, Naples... dont je me faisais pourtant une si grandiose idée! Monuments surprenants, portes gigantesques des palais (quelle humanité pouvait donc y loger?), églises décorées selon mon goût, certes, mais... La ville m'a semblé manquer de tout l'agrément de l'Italie, les habitants m'ont semblé apathiques, malheureux (écrasés par les soleil d'août? pourtant il ne faisait pas si chaud). Le linge qui pend, les crucifix fleuris, les klaxons, les cris, tout ce folklore napolitain sonne faux, sorte de comédie usée (qui consiste aussi à prendre l'étranger pour un crétin - mais c'est de bonne guerre).
Est-ce l'influence de la mafia qui couvre toute joie de vivre, la crise économique plus forte ici qu'ailleurs? La ville est restée pour moi mystérieuse, muette; on cherche en vain la civilisation et l'urbanité, et l'on ne voit qu'une population craintive, recluse dans ses cavernes. "Mes jugements me jugent"*, je le sais et je me précipite de dire que la saleté ou la pauvreté ne sont pas pour moi des critères de valeur (surtout en tant que touriste). Mais à quel voyageur peut réellement plaire ce désespoir, ce marasme? 

*

Tentative d'explication... Peut-être me suis-je moi-même considéré indigne des palais que j'envisage d’habiter, prompt à trahir dans l'énervement et le gâchis les promesses de mon passé, Napolitain vaincu, accablé de taxes secrètes, rêvant de richesses américaines, incapable de rompre sa propre "jettatura" (nouvelle de Théophile Gautier dont j'avais entamé autrefois une adaptation théâtrale)? Peut-être la ville m'a-t-elle simplement tendu un miroir? Et dans ce somptueux miroir noirci, moucheté, au cadre artistement travaillé, j'ai vu... une image que je n'ai pas pu soutenir.


mardi 2 septembre 2014

Analyses de quelques nuages

A deux reprises cet été: 

- d'abord sur la route une immense falaise de nuages roses et beiges, brisée par la présence d'une rivière sans doute - je voulais m'arrêter pour prendre une photo qui aurait dignement orné ces brèves... mais, craignant le retard et surtout le ridicule, j'ai poursuivi mon chemin; 

- puis, ce long après midi que j'ai passé allongé sur le dos, flottant parmi des îles éparses au tracé incertain, visions de péninsules, de havres, de collisions majestueuses - ai-je été heureux? je gardais en tête mes soucis et mes questions ("publication", paternité, avenir professionnel, destinée amoureuse et, en arrière-plan de tout cela, l'atroce situation du monde), sans doute, mais finalement le passé "passe" mieux que le présent, et je n'ai plus que le souvenir d'une grande quiétude.

*
Je me souviens aussi de cette soirée en juillet sur la terrasse de Puck, où un long nuage plat dans le couchant dessinait un deuxième horizon, comme si la ville se fut soudain trouvée au bord de la mer, et que la succession des toits et des tours descendait lentement vers une mer calme, traversée d'avions devenus bateaux aux lointains sillages - j'ai été si reconnaissant à mon ami d'avoir partagé cette impression, de l'avoir encouragée  par son enthousiasme - même si les photos n'ont rien rendu: comme sur les images d'Escher, on ne peut hélas voir l'une et l'autre réalités en même temps.