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Je comprends maintenant en quoi cet homme était extraordinaire. Je n'avais jamais entendu quelqu'un déclarer aussi ouvertement son bonheur au premier venu, surtout en France (est-ce par superstition? pour ne pas attirer le "mauvais œil" ou l'attention du fisc?): mes amis ayant "de belles situations" se plaignent qu'ils travaillent trop, les autres qu'ils ne travaillent pas assez, tous se lamentent des prix de l'immobilier, ceux qui ont des enfants regrettent de ne plus pouvoir dormir, les autres s'effraient du silence qui les menace, les moches râlent, les beaux s'inventent d'autres problèmes, rien ne va... Certains finissent par avouer une forme d'équilibre - mais lui vivait un équilibre si haut!
Etais-je envieux? A vrai dire, même pas. J'ai simplement eu l'impression de ne pas faire partie de la même humanité, de ne jamais pouvoir faire qu'observer un pareil accomplissement - et demande-t-on au spectateur ébloui, quand la lumière se rallume dans la salle, s'il est jaloux du cinéaste qui a créé le chef d’œuvre qu'on vient de projeter? A vrai dire, j'étais presque heureux d'apprendre - assis à la terrasse ensoleillée d'Ortaköy - qu'un tel bonheur pouvait exister sur cette terre, j'en suis presque heureux en y repensant!