Étonnement de trouver, lors de mon feuilletage du livre sur Lawrence Durrell, une phrase qui fait écho à certaines préoccupations actuelles: "Je
me sens tellement vieux ces jours-ci. J'aimerais vraiment arrêter de me
marier, et simplement partir en vadrouille au Proche-Orient sac au
dos." Finalement, ces désirs de voyage sont bien communs et partagés par tout le monde... "On a toujours un bateau dans le cœur"*.
Si même un écrivain libre comme Durrell, menant sa vie comme il lui
plaisait, a ressenti une telle pesanteur, qui suis-je pour y échapper?
Songeant de nouveau aux phrases de mes anciens maîtres, je me suis souvenu du Dionysien, qui visait souvent à côté mais faisait parfois miraculeusement mouche*, et qui avait dit quelque chose comme: "On ne résoudra jamais l'ambiguïté, il faut vivre avec".
Encore une maxime incomprise à l'époque, et dont je mesure aujourd'hui
la justesse... [Pour le plaisir, je rappelle ici qu'il avait provoqué un
scandale en déclarant "vous ne devez rien à vos parents": tous les fils fidèles
s'étaient indignés; j'avais dû noter la phrase sur une feuille volante,
et quinze ans après je vois ce qu'il a voulu dire: les parents ont
choisi de mettre au monde leurs enfants (qui n'avaient rien demandé): de
ce choix naît le devoir de les nourrir et de les élever, de leur
consacrer du temps et de l'énergie: les parents ont créé leur propre
dette en réalisant leur désir de reproduction: qu'ils la remboursent ou
ne la remboursent pas, c'est vis-à-vis d'eux-mêmes qu'ils la doivent, et
tout cela ne constitue en rien une créance vis-à-vis de leurs enfants].
*
Habitué à l'imminence de la catastrophe et à la proximité du suicide, persuadé que l'estime que l'on me porte est le fruit d'une incompréhension,
je ne vois dans la main tendue qu'une erreur dont je me sens coupable,
au lieu d'admettre simplement que réside là, après bien des gymnastiques*, la possibilité du bonheur.