Alors que nous remontions vers le bureau, un collègue me signalait que le bar oriental un peu délabré, de l'autre côté de la rue, avait été autrefois un café assez chic - ce que confirmait le dessin floral de la porte réalisé dans le plus pur style "art nouveau" qui fait l'une des rares gloires de cette ville... L'endroit était pourtant déjà en mauvais état lorsque je l'avais contourné, il y a sept ans, pour monter chez un ami qui habitait deux étages au-dessus.
"La chambre était pauvre et vulgaire,
cachée au-dessus de la taverne louche.
Par la fenêtre, on apercevait la ruelle,
étroite et sordide. D'en bas montaient
les voix de quelques ouvriers
qui jouaient aux cartes et qui s'amusaient."*
Comment ai-je pu oublier ce lieu devant lequel je suis si souvent repassé? Mais il y eut tant d'appartements similaires, à l'époque, et cette soirée avait été particulièrement ennuyeuse, décevante - je m'étais rapidement enfui. Pourquoi m'en suis-je soudain souvenu?
*
Tandis que je poursuivais mon chemin sans rien dire, je commençais à comprendre que cette ville possède désormais pour moi des attaches secrètes, qu'elle devient une autre "capitale de la mémoire", et qu'elle abrite comme Alexandrie ou Rome les strates de cités évanouies, affleurant au hasard d'un coup de pioche, les vestiges de ma vie passée.