Par exemple, étais-je aussi prêt au suicide que je le déclarais à l'époque dans chaque feuille blanche, que je le dis même encore aujourd'hui quand j'évoque mon adolescence. J'étais désespéré, mélancolique, malheureux, certes, certes, mais voulais-je vraiment que ma vie se terminât, ai-je fait le moindre pas sérieux dans cette direction (ni dans quelque direction que ce soit)?
Je constate que Paul Toussaint, dont je relisais les poèmes qui closent sa période poétique, a déjà tranché définitivement cette question: "Un mort n’éprouverait pas cette soif". Il conteste les choix que j'avais faits, et jusqu'aux constructions absurdes de l'avenir dans lesquelles je m'étais enfermé... Tout n'était que chimère à partir du moment où je me suis accroché, où j'ai été d'accord, décidé à vivre pour de bon et à aimer, à croire en toute autre chose qu'en ces niaiseries.
Mais, par conséquent, il devenait vain d'écrire des poèmes mensongers sur une mort que j'avais fini par ne plus considérer que comme une option secondaire. Je devais être au monde; je m'orientais vers des ambitions modestes, même si c'était renier ma jeunesse et le reste avec.
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Le pont des soupirs*
J’ai dédié ma vie à la chimère
De me croire « un mort avançant vers la vie »
Tout ce qui devait m’arriver
Ne devait pas être vrai – et je ne devais rien choisir
Voilà ce que j’imaginais – et pourtant je suis sur ce pont
Prêt à tout nouveau soleil et à croire en toute autre chose qu'en ces niaiseries
Je suis prêt à renier ma jeunesse
C’est donc cela l’action d’un mort – crois-je !
Un mort n’éprouverait pas cette soif
Un mort n’ouvrirait pas son existence
– s’il existait ! – au premier être venu
Pour lui montrer la grâce de ses côtes parallèles, de son nez creux, etc.
Ah, d’accord – s’il est ainsi gravé que je dois être au monde
Je consacrerai ma vie à la joie à l’amour
J’aurai pour ambition des ambitions modestes
Et jamais jamais je n’aurai écrit ce poème !