dimanche 24 novembre 2013

Cadavre dans le placard

En mon absence c'est déroulé un événement que j'aurais redouté par-dessus tout autrefois, et auquel je n'ai finalement accordé aucune importance... la catastrophe que j'avais cherché à prévenir par de multiples stratagèmes et que j'ai moi-même contribué à provoquer par mon indifférence.

Afin de transformer mon ancienne chambre d'adolescent, mes parents ont dû vider les placards, y compris les cartons contenant "l’œuvre" de l'époque, les poèmes, les journaux, les ébauches de romans, les pièce de théâtre... je les ai retrouvés à moitié ouverts dans la chambre d'à côté. Bien sûr, leur habituelle retenue les a dissuadés de m'en parler, mais comment ne pas soupçonner qu'ils ont jeté un coup d’œil au contenu, par curiosité ou par hasard - et comment leur en vouloir, vu que je n'avais pas pris la peine de refermer il y a quelques mois ces fameux cartons, qui étaient jusqu'alors plus soigneusement entourés de fils qu'une chrysalide. Je ne suis pas sûr qu'ils ont passé un très bon moment (je les plains plutôt: des pages de "tragédie" en alexandrins - Gott, quel ennui!); je pense même que cela les a obligés à revisiter un passé dont ils ont tendance à trop vanter les mérites, à s'attribuer les succès sans même voir leur échec fondamental - celui d'avoir fait de nous de bonnes machines mais impropres à la vie en société ou aux sentiments, quand l'amour-propre a remplacé l'amour (mais je crois que c'est justement cet amour propre qui m'a maintenu en vie). Il y a pire, toutefois.
Et à ma propre surprise, tout cela m'a été complètement égal. J'ai ouvert quelques cahiers (par exemple, un roman historique grotesque inspiré vaguement du Roman de la momie de Théophile Gautier, plein de clichés et de bien-pensance), j'ai ri un peu, puis je me suis contenté de refermer les cartons avec de la ficelle... Ces mots sont devenus ceux d'un autre. Ils sont plus proches de ma naissance que je ne suis d'eux, et, de jour en jour, je m'en éloigne. Même cette adolescence est, en quelque sorte, devenue celle d'un autre...