J'ai eu toute la journée en tête une ébauche de phrase dont je n'arrivais pas à trouver l'origine, "parfois, je rêve de villes"; je croyais que c'était un vrai rêve que j'essayai de formaliser de façon imparfaite, qui parlait de l'éloignement de soi-même ("l'esprit de Memnon"): "Parfois, au contact des autres comme dans la solitude, cette relation me
paraît lointaine, complètement détachée de ma personne, incongrue.
Pourtant même mon nom, mon origine, mon âge, et jusqu'à mon corps, me
font de temps en temps cet effet."*
J'ai pensé un moment que c'était une réminiscence de Rimbaud: "Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie." - jusqu'à ce qu'enfin quelques synapses se reconnectent, et que je me souvienne qu'il s'agissait de l'extraordinaire poème de Jaccottet, que j'avais cité ici-même: "J'ai dans la tête des visions de rues la nuit, de chambres, de visages emmêlés plus nombreux que les feuilles d'arbres en été et eux-mêmes remplis d'images, de pensées - C'est comme un labyrinthe de miroirs mal éclairé par des lampes falotes..."
Au moins ma mémoire momentanément défaillante m'aura-t-elle fait naviguer sur des mers agréables, le long de mouillages sûrs - et sans doute ce qui fait la joie secrète de celui qui a un peu lu, voyagé, ou aimé (?), est-elle de voir derrière l'étincelle d'un mot, d'une image que d'autres ne percevront même pas, l'explosion exultante d'un feu d'artifice.
PS: "Ainsi s'était entrouverte une autre porte, sur la région des livres lus; et tout cela s'échangeait richement dans ma pensée confuse, mais attentive." (Philippe Jaccottet, La Semaison III*)
PS: "Ainsi s'était entrouverte une autre porte, sur la région des livres lus; et tout cela s'échangeait richement dans ma pensée confuse, mais attentive." (Philippe Jaccottet, La Semaison III*)