Étonnement! J'ai retrouvé en fouillant dans un vieux carton mon carnet de Pensées profondes, que j'avais ultérieurement, par sarcasme, renommé "Pensées (peu) profondes", avec en page de titre, dans de jolis listons, les deux devises: "Puisque je vis, j'essaierai" et "Tout ce qu'on dira mort pour moi sera vivant (phrase reprise par Paul Toussaint dans Vers la Vie). De nouveau, il m'est difficile de mesurer ma proximité avec ces mots d'autrefois, qui me semblent distants, écrits par d'autres... Influencé par mon retour de Christiana, je me sens libre, détaché de mon être passé, détaché de mon être présent, de tout.
Habituel usage de la dissimulation, ce carnet était protégé, scellé dans un placard oublié: et maintenant tous ces secrets n'ont plus d'importance, je n'ai plus aucun compte à rendre sur leur teneur. Il en sera probablement de même, dans peu d'années, de ces brèves.
Pour commencer, et bien qu'il soit injuste de se moquer d'un adolescent qui ne peut plus répondre et se justifier, retenons quelques belles perles lyriques, l'usuelle posture de l'artiste maudit:
- "Je m'enferme face au monde comme une tortue; seulement, ma carapace de solitude est tournée vers l'infini du ciel." - 28/04/1996
- "Ô vous tous! Vous serez vieux, vous mourrez, vous serez oubliés. Oh! Quel malheur! Oh quel malheur la vie!" - 03/05/1996
Puis on entre dans des eaux plus connues, avec des exergues de circonstance:
- "Tels, ils marchaient dans les avoines folles / Et la nuit seule entendit leurs paroles." (Paul Verlaine, Fêtes galantes - Colloque sentimental) - 1997
- "Hors l'écho je ne parle à personne, à personne." (Philippe Jaccottet, Portovenere) - 1998
Quelquefois pourtant, des phrases prémonitoires, ou dont j'avais gardé le souvenir:
- "Il faut mener une vie lente et monocorde pour pouvoir rêver le crayon entre les doigts à cette vitesse de vie que l'on n'a pas ou plus." 09/02/1996 (Préface de à MALH [aucune idée de ce dont il s'agit])
- "Éléments bruyants, tuez moi! / Seulement, après le passage, / La ville sera pâle et froide. / Le port s'endormira. / Même le silence se sera tu." (Le Paradis perdu [idem, je ne me souviens pas avoir écrit un poème (?) de ce nom])
- "Il n'y a pas de joie, de mélancolie, ou d'hybrides; toute parole n'est qu'on mode différent du malheur." (Introduction aux quatre saisons, Vers la Vie)
Mon rêve de vie à l'époque était le suivant: "Je me mets à rêver parfois. une pièce, des hommes, et des femmes, des poètes, tous! et de la poésie! Je suis là-haut tranquille, dans les bras d'une femme... et j'écoute." - 25/02/1996. C'était le rêve de ma jeunesse, qui n'a peut-être jamais vraiment disparu, le désir de faire partie d'un "milieu littéraire", bohème, où nous aurions eu ad libitum de la poésie, de l'alcool et des femmes. D'une certaine façon, ce que j'espérais trouver dans ma vie ultérieure, à Paris, puisque toutes les biographies en font mention, puisque les grands écrivains, comme je me les figurais, ne passaient pas leur temps avec bobonne, ou à s'occuper d'enfants pleurnichards, ou à s'encombrer de métiers informes... Bien sûr tout cela peut prêter à sourire, et de tels cénacles n'existent sans doute pas - ou plus - remplacés par des plateaux-télé et des blogueurs du dimanche soir, mais c'était un rêve honorable, authentique. C'est ce qui m'a fait garder un semblant d'estime de soi, l'orgueil qui élève l'homme, à une époque où tout me poussait à la destruction.