jeudi 31 mai 2012

Chose publique

Impasse grecque... Sans doute effectivement aurait-il fallu résoudre le problème politique il y a six mois, par un référendum qui aurait créé un sentiment de cause commune, de chose publique, quand il en était encore temps? Et maintenant, il est trop tard. Chacun sauve ce qu'il peut... ce qui est humainement compréhensible, à défaut d'être bien.
L'Europe, par une tutelle en échange d'un maintien dans la zone euro, doit-elle se substituer à l'État grec ("État voyou", qui mérite bien de couler)?  Ce n'est pas sa vocation. De l'autre côté, un défaut avec retrait de la zone euro coûterait sans doute moins cher aux contribuables européens, mais à quel prix évaluons-nous nos ambitions politiques? Ce serait un tel renoncement, dont l'Union ne se remettrait pas, coupable d'avoir abandonné un peuple. "Des deux côtés, mon mal est infini".
Quant à la troisième voie, celle d'un défaut organisé avec maintien dans la zone euro (option qui semble avoir la cote et qui a déjà été en partie entamée par les échanges "volontaires" de dettes), elle présente tous les charmes des fausses bonnes idées. 

Finalement, les marchés ne sont guère fautifs dans l'affaire. Ce n'est même pas un problème lié à une "nature" grecque spécifique (car tout le monde aspire à la fraude, quand le droit n'est pas là pour assurer le bien-être collectif et individuel). C'est fondamentalement un problème d'administration, qui n'est pas insurmontable, avec un peu de courage. Nous payons aussi sans doute une certaine "positive attitude" de l'Union: nous savions, mais nous avons cru que ces mauvais comportements étatiques se résoudraient par eux-mêmes, sous la pression du soft power, de l'intégration économique, d'une presse libre, de facebook... D'une certaine façon, dans certains pays, ce modèle fonctionne - mais en Grèce il faudra trouver une méthode plus forte.

lundi 28 mai 2012

Une ville un peu ancienne (2)

Toutes ces villes françaises (Lyon, Nantes, Bordeaux, etc.) ont évolué considérablement en une dizaine d'années, pour des raisons que j'ignore (moyens financiers accrus?) et sous quelque couleur politique que ce soit. Elles ont suivi le modèle "néerlando-allemand" (disons, le "modèle rhénan"): transports en commun performants, désincitation à la voiture, espaces verts, propreté accrue, ouverture au monde: la reconquête du centre-ville comme un lieu de vie possible, mélange d'initiatives privées et publiques.

Et c'est ce qui est désespérant lorsque l'on se retrouve à Bruxelles: cette ville n'a pas décliné, elle est simplement restée au stade où se trouvaient la plupart des villes européennes il y a vingt ans! Transports publics inadaptés, saleté des rues et des façades, saturation automobile, centre-ville invivable et appauvri... Elle est coincée dans les rêves des années septante. La situation politique n'y a pas aidé, certes. Mais l'individualisme borné des Belges, leur mollesse et leur autosatisfaction ont aussi puissamment contribué à ce marasme: insuffisances des moyens, incapacité de se projeter dans une modernité raisonnable, même à très moyen terme. La ville subit, survit, surnage, lutte pour rafistoler ce qui peut l'être et demeurer à peu près décente - pitoyable vitrine de l'Europe.

lundi 21 mai 2012

Récits de déclassement (2)

Voilà que tu accuses une fois de plus ton passé, te reprochant couardise et intérêts bien compris. Tout cela est tellement facile, injuste! Te blâmer des fautes anciennes pour mieux oublier les fautes d'aujourd'hui. Car il n'y a pas que dans les profondeurs du passé que d'autres options t'attendent, te regardent fuir. "La porte est ouverte"*, elle l'a toujours été - tu n'as seulement pas tenté de la pousser, pour voir!

- Oui, je le savais, certes, mais je craignais des chausses-trappes, ou que la porte, une fois franchie, se fermât définitivement derrière moi, effleurée par un mauvais courant d'air, me refusant toute alternative autre que d'avancer dans ce chemin incertain. Je ne veux renoncer à rien.

- Était-ce là ta crainte passée? Ta crainte présente, qui te fait à chaque seconde retarder le moment de vivre? Homme d'aujourd'hui! Tu veux la diversité des chaînes, sans ne devoir te lier à aucune. Et tu contemples les programmes, tu soupèses les divertissements, couch potato affalé devant le spectacle de ta défaite, bière dans une main, paquet de chips dans l'autre, modérément insatisfait. De toi ne restera que le doute.

- C'est déjà quelquechose... Les doutes aussi nous construisent. Et tu peux t'acharner sur moi, brosser de moi les portraits les moins flatteurs, je n'y vois pas matière à bouleversement, à révolution, à résolution. N'est-ce pas le choix que j'ai toujours poursuivi, même en faiblissant parfois? Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même; je n'ai jamais accusé les autres. J'ai toujours agi en connaissance de cause. Je n'ai jamais été une victime!

Récits de déclassement

Récits de déclassement, de rapides décrochages... je n'en étais peut-être pas si loin. Comment aurais-je, par exemple, assuré cette délicieuse oisiveté (malgré les diplômes) avec la nécessité d'un gagne-pain? Peut-être, inconsciemment, n'étais-je prêt à rien.

dimanche 20 mai 2012

Orientalisme (2)

Merveilleuse orthographe ancienne utilisée par Nerval pour les noms de lieux stambouliotes: Béchik-Tasch, Kouroukschemé, Arnaut-Keuil, Dolma-Bagtché - traduit "le jardin des légumes farcis": il a dû se faire berner par quelque  kebapçı ou kébaptcheu du Bosphore!... De même a été mystifié Pierre Loti, dont les Désenchantées comptaient une journaliste parisienne, et deux turques délurées.
Comme ces orientalistes prêtent à sourire, quand on les relit avec quelque détachement! Et les souvenirs inspirés que j'ai rédigés il y a peu, sur les chants des muezzins parcourant la ville, me font presque honte, à la réflexion. Comment pourrait-on imaginer que cette vision puisse correspondre quelconquement à la métropole actuelle, ou à la vie que je pourrais y mener (j'en suis bien conscient). Venant d'un autre j'aurais sans doute méprisé cette posture de contemplation béate devant le différent, de même que j'abhorre ces pseudos-routards revenus de voyages lointains avec des images convenues sur la beauté de couchers de soleils, les sourires des enfants, et la spiritualité indienne. Ou les montagnards, ou les marins, qui nous ennuient avec des sornettes sur une prétendue "fusion" avec leur élément.

Agressivité injustifiée de ma part, car j'ai déjà exprimé précédemment ce que doit signifier pour nous l'orientalisme, qui n'est pas la description scientifique ou même journalistique d'un pays, mais la translation d'un rêve, une projection de soi-même dans un univers éloigné de toutes contingences. Cette future vie stambouliote que j'évoque souvent* est-elle de l'ordre du projet ou du fantasme? De la même façon, un cadre pressé pourrait rêver d'une vie méditative au fond de quelque Trappe bucolique, à l'écoute de Dieu et de la nature - sans jamais s'y conformer autrement qu'à l'occasion d'une courte retraite pendant un pont de mai.
D'ailleurs, la rencontre de ce rêve avec l'irréductible réalité ne provoquerait que désillusions, dépressions, "syndromes de Paris" - échec existentiel. Il n'y a rien d'autre à attendre. Ni d'Istanbul, ni d'ailleurs.

vendredi 18 mai 2012

Tracés immobiles

Étonnement que la dissolution de la Yougoslavie n'ait donné lieu à aucun changement de frontière. Les nouveaux États sont apparus dans leurs anciennes limites fédérales, malgré des incohérences lourdes de menaces futures. Au niveau mondial, c'est comme si la question du redécoupage des frontières (pourtant presque toutes décrétées par les Européens il y a plus d'un siècle) était devenu un sujet absolument tabou.
Et ce paradoxe: on nous parle de la fin des États-nations, mais à aucun moment dans l'histoire ces "nations" n'ont été aussi figées, sacralisées dans leur géographie. Que l'on se souvienne, à l'inverse, de la mobilité des grands empires, même encore récents, qui troquaient tel territoire contre tel autre!
Cette situation peut-elle perdurer? Mais qui osera frapper le premier? Entre la Chine et la Russie, peut-être? Ou dans des régions plus délaissées, en Afrique où l'absurdité des frontières coloniales est un fait admis, et où de possibles changements se profilent (Sud-Soudan, "Azawad"), même si ce ne sont que des sécessions et non de francs retracés intelligents?


mercredi 16 mai 2012

Riantes vallées

Riantes vallées de l'Herzégovine, plantées de cerisiers prolifiques: ouverture généreuse de la nature, fermeture désespérante des hommes, etc.

samedi 12 mai 2012

Une ville un peu ancienne

Pour des raisons mystérieuses, j'ai toujours associé Lyon à une ville un peu ancienne, style Troisième république finissante, voire État français. Ces images de rencontres secrètes avec Jean Moulin dans le parc de la Tête d'Or, avec Raymond Aubrac en embuscade non loin de là...
Gardons cette impression pour quelques instants encore, tant je sais qu'elle sera détruite par la modernité joyeuse de la ville repensée!
Et cette place ennuagée, avec son mélange de façades pseudo-haussmanniennes et d'immeubles années 50, me rappelait ce matin l'Alger des images d'archives - les images d'un monde englouti.

vendredi 11 mai 2012

La nuit, le bruit rassurant des voitures

Dans le même ordre d'idée*...
La nuit, le bruit rassurant des voitures sur l'avenue, qui me fascinait lorsque nous allions dormir chez mes grands-parents, à C**. C'était la certitude que la vie continuait, même aux heures les plus creuses, et la ville me berçait de son activité permanente - de même qu'un enfant s'endort plus facilement au milieu d'une fête que dans le silence délaissé de sa chambre.

Un soleil tardif à travers les vitres du train

Un soleil tardif à travers les vitres du train, nimbant le wagon d'une chaude lumière, un soleil bas, le Nord aux vastes ciels de mon enfance, étendues rêveuses dans lesquelles l'œil pouvait voyager, se noyer - loin du ciel étroit des vallées...
Cette vision faisait partie des plaisantes sensations d'autrefois, de même que l'odeur d'une route fraîchement mouillée par une pluie printanière, ou le bruit du vent dans les peupliers (aujourd'hui coupés) qui bordaient les immenses terrains de football, et formaient la frontière indépassable entre l'école et la rivière, entre le monde connu et le monde à découvrir.

jeudi 10 mai 2012

Yolculuklar (3)

Non, il serait vain, grotesque même, de vouloir raconter ses voyages au jour le jour. Le récit au présent ne peut être qu'anecdote pittoresque, émerveillement sympathique. Rien à voir avec la puissance des souvenirs, liée à la lutte menée secrètement entre mille autre images, pour finalement s'imposer des années plus tard.

Cela me rappelle la saisissante conclusion du poème de Cavafy Une image subsiste, que Paul Toussaint a - je crois - repiqué quelque part:

"Il pouvait être une heure ou une heure et demie du matin. 
Dans un coin de la taverne, derrière la cloison de bois... Nous étions seuls dans la salle déserte. Une lampe à pétrole éclairait à peine. A la porte, le garçon, fatigué d'avoir trop veillé, dormait.
Personne ne pouvait nous voir. Mais déjà la passion nous enlevait toute prudence.
Les vêtements se sont entrouverts... Il n'y en avait guère, car un divin mois de juin brûlait.
Jouissance de la chair à travers les vêtements qui s'entrouvrent! Bref dénudement de la chair! Cette image a traversé vingt-six années, et maintenant, elle est venue résider dans ce poème."

Ainsi, le poème ne raconte pas uniquement un événement (dont le lieu ou l'heure nous importe peu: "une heure ou une heure et demie"), mais nous parle des vingt-six années qui ont passé depuis l'événement, et de cet instant où l'encre l'a fixé sur un feuillet. En me promenant dans le livre (que je connais pourtant déjà fort bien), j'ai découvert ou redécouvert le poème Devant la maison, qui illustrerait sans doute encore mieux mon propos:

"Hier, en flânant dans un quartier éloigné, je suis passé devant une maison que j'ai beaucoup fréquentée, quand j'étais fort jeune. Là, avec sa force exquise, Éros s'est emparé de mon corps.
Et comme je repassais, hier, par mon chemin d'autrefois, tout, boutiques et trottoirs, les pierres et les murs, les balcons et les fenêtres s'embellirent soudain du charme de l'amour. Rien de vil ne demeurait là.
Et comme je m'attardais devant la maison pour en contempler le seuil, je sentis s'exhaler de mon être toute l'émotion voluptueuse qui s'y était conservée."

mardi 8 mai 2012

Un monarque républicain

J'ai toujours trouvé que l'expression "monarchie républicaine" était une simplification facile, un cliché pour les amateurs de "tendances lourdes", sans aucune vérité autre qu'institutionnelle, considérant par exemple que si les Français passaient à un régime parlementaire, cette fascination monarchique disparaîtrait. Et pourtant! quand je constate les foules médusées par la moindre présence de François Hollande, qui le photographient, qui cherchent à le toucher comme s'il pouvait les guérir d'improbables écrouelles, les délivrer de leurs vies monotones et minables, je suis pris d'un doute. C'est comme s'il était devenu un dieu. Lui qui n'était qu'un personnage mou et indécis se trouve soudain paré de toutes les beautés. Même les caméras semblent le capturer différemment.

mardi 1 mai 2012

Echo des effondrements successifs


Eileen Power décrit brillamment, dans 30 pages d'introduction à son livre Gens du Moyen-Âge* (1924), l'aveuglement de quatre contemporains face à la chute de l'Empire Romain (Ausone, Sidoine Apollinaire, Grégoire de Tours et Fortunat). Les descriptions des riantes villas sur la Moselle, des réceptions, des bains, sans aucun écho des effondrements successifs, ou alors, s'il en est fait mention, la considération que ce sont des événements passagers, incapables de modifier la nature de la civilisation.... Dans cette introduction sans doute écrite dans les années 1930 (?), la référence d'Eileen Power est le nazisme, et le texte semble orienté comme un plaidoyer contre une Angleterre frivole et inconsciente. Elle n'aura pas été la première à invoquer le Ve siècle pour réveiller ses contemporains...

C'est comme si, dans l'esprit de chaque Européen, la réminiscence du drame originel flottait encore. Et sans doute les succès des votes extrêmes dans tous les pays européens, y compris récemment en France, sont-ils liés pour partie à cette angoisse profonde (au-delà de préoccupations plus terre à terre). La comparaison est tellement facile! Des territoires en crise, une natalité effondrée, la disparition lente des repères de culture (ou de religion), des masses inoccupées que l'État n'arrive plus ni à nourrir, ni à distraire, l'appauvrissement du numéraire dans le commerce extérieur, la richesse tape-à-l'œil et confortable d'une maigre élite (les Ausone, Sidoine Apollinaire des temps modernes?), l'érection de murailles spectaculaires, rassurantes mais inutiles, et bien sûr la présence visible de populations considérées "barbares" - ou à tout le moins vues comme étrangères et indifférentes à certaines "valeurs".

Ruins of Detroit (Yves Marchand)
Certes, il y a nombre d'éléments nuançables dans ce constat, ou même que l'avenir ne confirmera pas. Et des différences: par exemple, ce "déclin" intervient à un moment où l'Europe n'a jamais été aussi unie. Mais c'est sans doute ce qui est reproché à l'Union: pourquoi n'a-t-elle pas rempli sa promesse de prospérité?