mardi 23 novembre 2021

Lignes de faille

Ressemblance troublante entre Dino et des photos d'autrefois. Et je me prends à rêver... qu'il serait possible de lui offrir une jeunesse, joyeuse, sans les failles de ma propre jeunesse.

Comment ne pas lui transmettre ces failles, ou ne pas lui en transmettre d'autres, plus grandes encore ? Sans compter les failles que provoqueront d'autres personnes, et dont je ne me rendrai même pas compte ! 

samedi 20 novembre 2021

W polityce głupota

Commentant la déplorable actualité polonaise, Donald Tusk (dont j'apprécie nombre de prises de parole) écrit : "Le monde a été étonné après l'interview du Premier ministre polonais, dans laquelle il annonce la troisième guerre mondiale causée par le conflit entre la Pologne et l'Union européenne. En politique, la bêtise cause les malheurs les plus graves."

J'ajouterais à la bêtise: la fatigue. Et un mélange des deux, peut-être la pire cause de malheurs: la croyance en la permance des choses. En politique, à la force des institutions. Dans les relations humaines, à la valeur des contrats et des serments. Nos lignes Maginot mentales, qui nous font prendre les constructions humaines pour des réalités.

Cette croyance a fait s'effondrer des empires... Et même après leur chute, certains continuaient à les croire immuables, sous d'autres formes (lire le récit d'Eileen Powell, sur cet aristocrate gallo-romain dans sa villa au VIe siècle, ravi de sa vie confortable et érudite pourtant condamnée à l'anéantissement).

Sans aller dans un exemple aussi lointain, regardons nos démocraties fragiles, nos institutions bancales, construites sur trois bouts de papier. Nul besoin de hordes barbares. Un souffle, propagé par de mauvaises bourrasques, et tout est fini. 

Sur la citation d'Alfonso Reyes

A cette citation ("Nous publions afin de ne pas corriger indéfiniment nos brouillons"), j'ajouterais une étape initiale: nous écrivons pour nous débarrasser des idées qui nous hantent, pour pouvoir passer à autre chose. C'est aussi l'usage de ce blog.

Je repense aussi à mon projet de voyage parisien de Sofia Frino. Cela fait cinq ans que j'y réfléchis. J'aurais mieux fait d'écrire rapidement quelque chose à l'époque plutôt que de retourner sans cesse cette histoire insignifiante dans mon cerveau. D'ailleurs, je me désole de n'être hanté que par cette histoire insignifiante. Même de ma vie actuelle, il y aurait matière à faire des livres autrement plus captivants et vrais

Dune

On me recommande Dune, je le lis (à la "faveur" d'une atttaque de covid que j'espère encore modérée...). Les 150 premières pages sont très étranges. Quasiment pas d'action, mais une suite de dialogues entre différents protagonistes. On dirait du théâtre, du théâtre no peut-être, avec des personnages dont on nous annonce à l'avance par des citations liminaires les traits de caractères (le traître, la prêtresse...), de longs silences où l'on observe le paysage, un détail d'architecture.

Je ne crois pas avoir déjà lu quelque chose de semblable. Cette narration non-narrée apporte un mystère supplémentaire au livre, au-delà du vocabulaire ésotérique et des péripéties que j'imagine plutôt communes dans les livres de science-fiction. 

dimanche 7 novembre 2021

Sur trois mémoires

Pour les besoins d'un projet très embryonnaire j'avais acheté en début d'année quelques récents livres de mémoire. Je ne m'attarde pas sur la ridicule, snob et indécente Jeunesse de Pierre Nora. Plus intéressant et modeste, Une jeunesse à l'ombre de la lumière de Jean-Marie Rouart, quoiqu'encore sur ce milieu parisien intellectuel qui semble le seul en France à pouvoir produire des écrivains... 
Pour un peu de fraîcheur, feinte ou pas, lire plutôt Ma vie d'écrivain de Patrick Rogiers, un écrivain artisan de grand talent, rapportant ce qu'il faut d'anecdotes érudites et de remarques personnelles pour rendre le lecteur plus riche une fois le livre refermé (combien de livres, au contraire, nous laissent un sentiment de gaspillage, surtout avec leurs prix excessifs). 

PS: citant Alfonso Reyes: "Nous publions afin de ne pas corriger indéfiniment nos brouillons." 



Dalla Tana al Ghattajo è sichurissimo

Dans le fantastique livre d'Eileen Power, déjà mentionné, cette phrase à laquelle je pense souvent, citation d'un voyageur florentin : "le chemin pour aller de Tana au Cathay est parfaitement sûre". Sichurissimo... en ces temps troublés, on se prend à rêver. Peut-être y a-t-il eu quelques brèves années au XXe siecle où ce chemin a été possible... Je me souviens par exemple des livres de Bernard Ollivier (Longue Marche) qu'il faudrait relire !
De Tana à Beijing par la Russie, le Kazakhstan et la Chine devrait encore être pratiquable, à condition de montrer patte blanche et visée touristique. Les autres itinéraires sont sans doute fermés, à part la voie maritime qu'emprunte l'essentiel de notre commerce, et la voie aérienne bien sûr, si facile qu'elle est à peine un voyage.

"Il n'y eut pas que des missionnaires qui se rendirent au Cathay. Odoric, parlant des merveilles de Hangzhou, renvoie pour confirmation à des marchands vénitiens qui l'ont visitée: "c'est la plus grande ville du monde entier... Etc

Le bon larron

Souvenir d'Éthiopie, parmi tant d'images frappantes et qui restent en mémoire, une représentation très simple de la crucifixion sur le mur d'une église, à Lalibella. Je n'arrive pas à en retrouver l'image, ni dans mes photos, ni sur internet... On y voyait la croix avec à gauche un carré surmonté d'un triangle orienté vers le haut, à droite un carré au-dessus d'un triangle descendant... "Jésus, souviens-toi de moi lorsque tu viendras dans l’éclat de ton règne. / En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis."
Économie des mots et économie des signes... Mais pour le croyant, un message évident, émouvant, presque magique. 

lundi 1 novembre 2021

La terre riait encore (2)

Sur la nostalgie, je lisais récemment cette remarque d'un Européen de l'Est qui se demandait pourquoi la génération de ses parents continuaient à éprouver de la nostalgie pour l'époque communiste : finalement, disait-il, mes parents ne sont pas nostalgiques des longues files d'attente, des privations de liberté, des organisations de propagande... Ils sont nostalgiques de leur jeunesse. 

La terre riait encore

"La terre riait encore" Jacques Chardonne cité par Michel Deon (qui lit encore l'un ou l'autre?), citation dégottée dans un bouquin jauni mais passionnant et au titre aguicheur: le rendez-vous de Patmos.

Dans le livre, il s'agit de la nostalgie de la Grèce d'avant-guerre, celle de Lawrence Durell... Chaque époque est nostalgique de la précédente. Michel Déon va chercher loin la Grèce authentique, tant les touristes envahissent les îles, les monastères et les villages se vident... On parle des années 1960.

Si je plonge dans mes souvenirs, je crois avoir vu un peu de cette Grèce enchantée, les petits ports déserts, les tavernes où l'on passait dans la cuisine choisir son plat en soulevant les marmites (quel plaisir!), les chèvres capricieuses, la simplicité de la vie... Était-ce une réalité, une illusion ? Pour un petit enfant du péri-urbain qui ne connaissait que son pavillon, son école et son supermarché, la Grèce offrait un contraste presque démesuré. D'ailleurs, les souvenirs de l'enfance à la maison et ceux de l'enfance en vacances sont comme deux univers éloignés, à peine reliés par quelques réseaux d'étoiles. 

Au mitan de sa vie

Sylvain Tesson commentait sur le destin d'Ulysse et des autres héros, dont l'objectif était d'être "au mitan" de leur vie, là où le soleil tombe directement, sans les ombres projetées de la nostalgie ou de l'envie. L'homme ne peut se dire heureux, n'être dans la plénitude de son être, que s'il s'affranchit de ses tensions en avant ou en arrière. "Je suis là où je dois être."

À un moment, il y a quelques semaines, je l'ai pensé. Mais c'est un état impermanent (contrairement à ce que suggère le "ser feliz" de la langue espagnole). Plus le temps passent, plus les regrets s'accumulent, et plus les frustrations grandissent - car le champ des possibles se réduit, et remettre à demain devient une pratique incertaine. Mais les objets de nos regrets et de nos frustrations perdent aussi de leur valeur. 


jeudi 9 septembre 2021

Une source obscure d'autorité

Parmi les nombreuses énigmes de ma jeunesse, cette question qui revient sans cesse: pourquoi mon père ne m'a jamais parlé ? Pourquoi il ne m'a jamais rien dit ?

Bien sûr, il bavardait, racontait des anecdotes professionnelles, parfois un souvenir lointain et peu précis. Mais par exemple, d'expliquer pourquoi ce souvenir un compter, pourquoi son métier l'intéressait (ou pas), cela je ne l'ai jamais entendu.

J'ai l'impression d'avoir eu dans mes parages une source obscure d'autorité, avec des explosions de colère imprévisibles, des réflexions absurdes que j'ai fini par ne plus respecter, et une sorte de morale étriquée faite de conventions non réfléchies, non expliquées et souvent inexplicables.

Si je me souviens bien, il y a eu deux ou trois essais, quand il m'avait donné ses "feuillets", lu un poème de Baudelaire (j'avais déjà plus de 20 ans). Et ces dernières années, les souvenirs se font plus vifs, plus précis, il me raconte une enfance complexe et malheureuse. Pourquoi ne pas en avoir parlé plus tôt ?

Certes, à l'époque, je n'étais peut être pas disposé à écouter, certainement pas à m'épancher, je le fuyais comme je fuyais les autres, plus lui que n'importe que d'autre. C'était un étranger pour moi, un étranger sur une autre planète. Et pourtant, je l'aurais entendu sans le vouloir. Tous les souvenirs avec mon père sont gravés d'une façon plus forte (peut être parce qu'ils ne sont pas nombreux) : quand nous étions allés le voir à son bureau et qu'il m'avait montré son ordinateur, les sorties sur le solex, la journée où nous étions allés à Waterloo, au musée d'Ixelles et à la maison d'Erasme (sans soupçonner que ces lieux déviendraient ceux de ma vie future). 

Pourquoi? Pourquoi ? Pourquoi ?! Comment peut on se fermer à ce point ? Et vivre si longtemps sans altérité ? Et en a-t-il toujours été ainsi ? Et aurait-il pu en être autrement ? 

mercredi 8 septembre 2021

De Marcel Cohen

Lecture de Marcel Cohen dans le restaurant où je profitais d'un précieux moment de solitude et de déconnexion...
 
Mais je ne m'attendais pas à un tel choc. Je voulais presque pleurer dans la salle du restaurant, au milieu des joyeux groupes de dineurs. Et les images restent encore vivantes, poignantes le lendemain, cette mère enfermée dans la clinique, et qui ne peut  ni crier ni parler à son fils de l'autre côté de la rue, de peur de porter l'attention sur lui. Les occasions de s'échapper qui ne sont pas saisies. Les promesses trahies de la France. Tout cela vu à hauteur d'enfant, à plus de soixante ans de distance.
 
Comment une telle infamie a-t-elle pu se perpétrer ? Et pire encore, s'enfermer aujourd'hui dans l'espace d'un événement ponctuel ?

jeudi 19 août 2021

Fin de règne

Interview intéressante d'Augustin Trapenard (un chroniqueur de France Inter) dans le Soir. Il y raconte son enfance et son adolescence dans une famille bourgeoise en Auvergne, ses difficultés pour affronter les codes en vigueur (comme dans toutes les familles de l'époque, ou quasi toutes). 
 
À tous les niveaux, à tous les âges, la norme brise. Hommes comme femmes en sont les victimes. Réussir à s'affranchir sereinement de la norme est la "clé du bonheur", peut-être, mais c'est un chemin difficile, par rapport à la soumission ou à l'opposition bruyante, qui sont les deux alternatives habituelles et insatisfaisantes. 
 
Pendant des années, je n'ai rencontré des individus qui semblaient tous faits du même moule, et qui semblaient tous incarner quelque chose. Même les amis homosexuels m'avaient paru faire dans la caricature et correspondre à une certaine forme de norme. Même les amis proches se taisaient face à leurs blessures secrètes, personne ne disait rien d'honnête, et moi non plus je n'ai rien dit.  Contrairement à ce que je peux souvent lire, notre jeunesse n'a pas été une période légère, insouciante : nous étions dans l'angoisse constante du présent, de l'avenir, du rôle que nous devions jouer, des erreurs "irréparables" que nous devions éviter de commettre. Dans les semestres incertains de la vie étudiante (y compris le stress des examens ou de trouver un énième stage), je n'ai pas trouvé beaucoup de place pour l'épanouissement personnel. 
 
La première libération (tardive) a été l'entrée dans la vie professionnelle, qui a signifié indépendance financière et perspectives à plus long terme. Également libérateur, le départ de Paris, car j'ai senti que cette ville trop codifiée ne me conviendrait pas (erreur de jugement?).
 
Enfin, avec le temps, quand les fissures sont devenues plus béantes, et que certains masques trop lourds à porter ont pu être enlevés, certaines relations plus authentiques ont pu être nouées... L'époque y est aussi pour beaucoup, qui multiplie les remises en cause et incite à relativiser nos certitudes. Les codes sont déconstruits de l'extérieur, par la société elle-même, mais de l'intérieur aussi, car toute personne intelligente voit bien qu'ils ne sont précisément que des codes, des cadres douteux inadaptés aux préférences individuelles. Cet évanouissement de la norme est source d'une immense confusion, mais aussi le moyen d'un affranchissement personnel, pour autant que nous puissions/voulions jamais être tout à fait libres. 

mercredi 18 août 2021

La lampe merveilleuse

Je lis pour la première fois l'histoire d'Aladdin dans la traduction de Galland. J'avais commencé l'intégrale des Mille et une nuits (dans cette traduction), mais le livre trop lourd m'était tombé des mains. "C'est ennuyeux", se souvient Della Rovere.
Sans doute faut-il le lire par petits morceaux, ou ne pas en avoir les attentes préconçues par la littérature moderne d'une intrigue logique, ou d'une "morale" compréhensible. Dans l'Histoire d'Aladdin, il n'est nulle part expliqué pourquoi le magicien choisit Aladdin pour aller chercher la lampe, et lui-même ne s'encombre d'aucun questionnement inutile. Quand l'histoire semble terminée surgit un frère cadet du magicien qui prolonge l'intrigue d'un tiers sans apporter grand chose. De tels "développements" seraient immanquablement coupés dans notre littérature efficace et rationnelle (peu d'auteurs ont rompu avec cette économie de moyens, sauf Proust peut-être, ou Nerval). Mais d'autres intrigues potentielles sont survolées qui auraient contribué à de fascinantes histoires: par exemple, Aladdin dispose aussi d'une bague magique (dont il se sert à peine!), et le conte révèle la présence de deux génies, celui de la lampe merveilleuse, et celui de la bague. A un moment, le génie de la bague explique qu'il ne peut s'opposer aux réalisations du génie de la lampe. Quelle aventure aurait-on pu construire sur  la coexistence des deux génies ! Mais aussi, quelle inépuisable réserve de rêves !
Enfin, il est vrai que la traduction de Galland est ampoulée et sans doute illisible pour la plupart des lecteurs, mais cette langue précieuse, ces formules grand-siècle, ajoutent aussi leur propre exotisme au texte, comme en écho l'enchantement des nuits de Versailles. Comment faudrait-il traduire autrement? Et qui sait si, pour un lecteur égyptien d'aujourd'hui, le texte d'origine n'a pas lui aussi certaines constructions lourdes et mystérieuses, un langage derrière lequel flamboient les lumières de l'orient médiéval, la cour des califes de Bagdad...
"On ne saurait exprimer la surprise et l'étonnement du sultan lorsqu'il vit rassemblées dans ce vase tant de pierreries si considérables, si précieuses, si parfaites, et d'une grosseur dont il n'avait point encore vu de pareilles. Il resta quelque temps dans une si grande admiration qu'il en était immobile. Après être enfin revenu à lui, il reçut le présent des mains de la mère d'Aladdin, en s'écriant avec un transport de joie: "Ah! que cela est beau! que cela est riche!" "
Comment faudrait-il traduire autrement? 

mardi 17 août 2021

La chute de Kaboul

Images de la piteuse débâcle de Kaboul, grand gâchis de dizaines d'années, de milliards de dollars et de milliers de vies.
Sommes-nous dans la même situation qu'il y a vingt ans ? Question difficile. L'occident à changé, sa position dans le monde aussi.
Quels sont désormais les intérêts de l'occident en Afghanistan ? Notamment pour l'Union européenne et la France, à part le flux probable de réfugiés qui traverseront l'Asie (car même un conflit aussi lointain peut entraîner ces mouvements de population que l'Europe veut éviter à tout prix... problème que les États-Unis ignorent). 
Mais en qui concerne le terrorisme (motif de l'intervention initiale), que représente l'Afghanistan quand le monde regorge désormais de "sanctuaires du terrorisme", ou de républiques respectables devenues des États voyous ?
Un problème de moins, peut-être? 

+ ref au livre sur les empires 

mardi 29 juin 2021

Midi

La beauté écrasante, évidente, triomphante. La beauté qui nous fait courber la tête et baisser les yeux. La beauté qui s'affranchit des époques et des lieux. La beauté au-delà du souvenir, au-delà de tous les désirs. 

jeudi 24 juin 2021

N'efface pas la tâche sur la nappe

Heureuse découverte sur Twitter ce matin (note personelle: je dois acheter tout livre possible de ce poète - vite!)


Instructions à la servante (Yehuda Amichaï)
 
Ne débarrasse pas les verres et les assiettes
N’efface pas la tâche sur la nappe !
Il est bon que je le sache :
On a vécu avant moi dans ce monde.
 
J’achète des chaussures qui étaient aux pieds d’un autre homme.
Mon ami a ses pensées.
Ma bien-aimée est une femme mariée.
Ma nuit est usée par des rêves.
Des gouttes de pluie sont dessinées sur ma fenêtre…
Dans les marges de mon livre, des notes ont été écrites par d'autres.
Sur les plans de la maison dans laquelle je veux vivre,
L’architecte a dessiné des étrangers devant l’entrée.
Sur mon lit il y a un oreiller avec le creux
D’une tête absente.
 
Aussi, ne débarrasse pas
La table.
Il est bon que je le sache :
On a vécu avant moi dans ce monde.


samedi 19 juin 2021

Dino dans le métro

Je m'inquiétais dans le métro, tous les regards me paraissaient suspects, les dangers évidents... Mais l'expérience semblait pour Dino parfaitement normale, ni angoisse, ni émerveillement démesuré. Un parfait "urbain", qui ne se souciera pas de la cohue, ni ne se rassurera en écoutant le bruit des voitures.

Je me suis souvenu des rares fois, deux ou trois fois dans toute mon enfance peut-être, où nous avions pris le tramway avec mon père (on disait le "Mongy"). J'ignore d'ailleurs pour quelle obscure raison nous étions allés en ville sans la voiture. C'était une aventure marquante, surtout au moment où, en fin de parcours, le tramway s'engouffre dans le ventre de la ville.

Comme nos enfances peuvent différer! Par exemple, je pense n'avoir jamais pris le train de toute mon enfance. Mon seul souvenir est que ma sœur avait eu la chance de prendre le TGV pour aller en classe de neige. Je devais avoir sept ans. Ensuite, à V*, j'ai pris des trains de banlieue parfois pour aller au zoo de Vincennes, au Jardin des Plantes. Mais je n'ai pas dû monter dans un "vrai" train avant mes 18 ans. 

lundi 7 juin 2021

On a mis les mains sur tes hanches (2)

Dans la chanson citée précédemment, on retrouve un procédé poétique intéressante avec ces rimes approximatives "granges/hanches". Il y en a d'autres exemples chez Brassens.

Gainsbourg a mené le concept plus loin, dans "L'anamour" par exemple, où la rime atteint un niveau si raffiné qu'on ne sait plus quel mot rime avec lequel ("transit" avec "exit"? ou avec "transat"? "pâli" plus avec "pas là" qu'avec "Asie"):

    "Aucun Boeing sur mon transit
    Aucun bateau sur mon transat
    Je cherche en vain la porte exacte
    Je cherche en vain le mot exit"

    "Tu sais ces photos de l'Asie
    Que j'ai prises à 200 Asa
    Maintenant que tu n'es pas là
    Leurs couleurs vives ont pâli"

Par ce procédé, Gainsbourg a réussi à se débarasser de plusieurs siècle de règles codifiées, à remplcaer la rime par l'assonance (qui est la seule qui compte), une révolution que (je crois) la langue anglaise avait effectuée depuis longtemps*. Malheureusement, cette révolution est venue trop tard, à un moment où la poésie française commençait à s'éteindre. Le champ des possibles est resté inexploré, ouvert néanmoins pour les générations futures qui voudront s'y aventurer.

(*: cf. Yeats, précédemment cité:
    "And therefore I have sailed the sea, and come
    To the holy city of Byzantium")

dimanche 6 juin 2021

On a mis les mains sur tes hanches

Sur France Inter, l'écrivain et maintenant chanteur Gaël Faye mentionne un procédé poétique qu'il affectionne chez Georges Brassens : le remplacement d'un morceau de phrase attendu par un autre. Il cite l'exemple de la chanson "Le pornographe":
    "Je ne fais pourtant de tort à personne,
    En suivant mon chemin de petit bonhomme" 
Qui devient:
    "Je ne fais pourtant de tort à personne,
    En suivant les chemins qui ne mènent pas à Rome

Il y en a un exemple plus parlant encore dans "Le père Noël et la petite fille" :
    "Il a mis du pain sur ta planche
    Il a mis les mains sur tes hanches" 
    "Il a mis du grain dans ta grange
    Il a mis les mains sur tes hanches" 
    "Il a mis l'hermine à ta manche
    Il a mis les mains sur tes hanches" 
    "Il a mis de l'or à ta branche
    Il a mis les mains sur tes hanches" 
Qui devient:
    "Le joli temps des coudées franches
    On a mis les mains sur tes hanches" 

Ce "on" définitif, comme un salissement indélébile, donne son tragique à la chanson par le simple changement du pronom. Curieusement, dans la reprise qu'elle en a faite, Barbara n'a pas repris la formule, évitant de dire "On a mis les mains sur mes hanches". Inadvertance? La chanson perd quasiment tout son intérêt, perd son universalité. Ou peut-être précisément Barbara n'a-t-elle pas osé, ni voulu, maudire la petite fille qui subit le viol de la société. Peut-être a-t-elle considéré ce message trop lourd, elle qui connaissait ce sujet, et a-t-elle préféré croire à la possibilité de l'oubli. 

mardi 11 mai 2021

Sur Roger Raveel

Bozar (Bruxelles) organise une grande rétrospective sur Roger Raveel, "l'un des peintres belges les plus importants du XXe siècle", en tout cas une peinture avec laquelle je n'ai aucune affinité. Je soupçonne même une opération de collectionneurs belges intéressés à faire monter le prix de leurs acquisitions. J'avais failli ironiser quand Maître Kanter m'avait dit avoir acheté une toile de cet artiste. Par politesse je m'étais contenté de ne pas réagir (de toute façon, mon avis lui importait peu). C'était à un moment de bascule où je commençais à me demander comment sa personnalité avait pu m'intéresser, et je crois que son goût pour Roger Raveel avait été l'argument fatal en sa défaveur, le "passage de minuit" après lequel tout redevient citrouilles et croûtes souillones. 



mardi 6 avril 2021

Le maître du temps (2)

Autre caractéristique : toutes les activités d'Édouard Philippe ont un aspect public: engagement envers les citoyens, publications de ses romans (et non élucubrations dans des cahiers cachés ou des blogs oubliés), même la boxe qu'il pratique en club... Alors que les rares activités que je mène ont une nature confidentielle voire secrète, solitaire. Mélange de décisions assumées et d'échecs imposés (ou vice versa). J'ai tout fait pour me créer une personalité transparente, insaisissable, pour que personne ne me connaisse vraiment, même mes plus proches amis, même dans mes activités les plus innocentes, anecdotiques. 

lundi 5 avril 2021

Le maître du temps

Interview de l'ancien premier ministre Édouard Philippe à la télévision. J'apprends qu'outre sa pratique régulière de la boxe il a rédigé plusieurs romans policiers, je lis qu'il a trois enfants, etc. sans compter les responsabilités politiques, les innombrables activités publiques, l'entretien d'un considérable réseau d'amitiés... Comment fait ce surhomme ?
Le temps est élastique, certes, et "plus on en fait, plus on en fait". Peut-être s'épargne-t-il un certain nombre de tâches ménagères, certes, ou dispose-t-il d'aide pour ses enfants ? Peut-être que la vie politique, avec ses incessants déplacements, permet de se consacrer discrètement à certaines activités littéraires, plus facilement qu'au bureau ou à la maison ? 
Mais tout cela n'explique pas le phénomène. Avec ma modeste activité professionnelle et mon encore plus modeste vie personnelle, je ne trouve ni le temps de lire, ni celui d'écrire, ni celui de garder le lien avec mes amis, ni celui de faire du sport de façon sérieuse, ni celui de gérer décemment ma "maison"... C'est comme si je n'étais qu'une fraction d'homme, incapable de rien mener à bien. 

La mort de Normunds Kindzulis

La mort atroce de Normunds Kindzulis, relayée dans quelques journaux, provoque des haussements d'épaule navrés, un peu de bruit sur Twitter, sera oubliée dans quelques jours. Pourtant, il ne faut pas aller chercher aux confins de l'Union européenne pour trouver des cas similaires, en Belgique récemment, partout.
Même si certaines attitudes ont changé, si les droits ont été réaffirmés, le chemin à faire pour une vraie reconnaissance semble toujours plus loin (cette reconnaissance se fera quand la société sera devenue indifférente aux préférences sexuelles, mais est-ce seulement possible?).
Et il semble que chaque nouvelle avancée se traduit par un renouvellement de rage. Une rage de ceux qui qui ne supportent pas de voir l'homosexualité affichée comme une façon de vivre, d'être, mais qui (prétendent-ils) se seraient satisfaits de la savoir cachée, réduite aux récits sordides. Discours bidon, et "pensée" bidon. D'une part, la violence aurait été similaire, pire même (car sans réponse possible - sans la protection de la loi). D'autre part, imposer le silence, reléguer dans la "deviance", etc. tue aussi. 

samedi 13 mars 2021

Souvenir de l'été dernier

Même les vibrations 
De la cloche fêlée sont brûlantes -
Lune d'été

(Tachibana Hokuchi) 

lundi 8 mars 2021

Le retour manqué

Je me prends à regretter de ne pas avoir poussé davantage pour la publication du Retour de WA... Certes, cela m'aurait obligé à m'impliquer dans la vraie vie au lieu de ne faire qu'envoyer courriels et courriers. On peut aussi reconnaître que le seul refus "motivé" était accompagné d'une critique dure que j'ai déjà évoquée: qu'on ne s'attache pas assez aux personnages, que les points du vue ne sont pas assez tranchés, etc.
Pourtant, j'y avais semé les thèmes de la décennie à venir, la manipulation des réseaux sociaux, la cancel culture, et même #metoo (en filigrane), sans doute traités avec trop de légèreté. Et sans doute aussi me suis-je égaré dans les personnages, quand la seule personne vraiment protagoniste de l'affaire est Sofia Frino, qui n'apparaît pourtant qu'au début et à la fin. Il faudrait clarifier, rendre moins brouillonne l'intrigue centrale. 
Mais est-ce que le moment n'est pas déjà passé ? À quoi sert un livre qui aurait pu intéresser son époque, quand cette époque est déjà révolue? Même remarque que sur les poètes contemporains, peut-être doués mais condamnés à la confidentialité ou au silence. Qui les redécouvrira dans cent ans ? Et qui pourra encore s'émouvoir de mots aussi anciens ? 

dimanche 7 mars 2021

La mort de Pierre Jaccottet

Dans une émission culturelle, le chroniqueur de France Inter annonce la mort de Philippe Jaccottet  prénommé par erreur "Pierre Jaccottet". Je lève mon nez de la tasse de café, me demandant si l'on parle d'un frère du poète, d'un homonyme... Della Rovere me demande si je le connais...
Triste fin. Le dernier grand poète de la langue française, le dernier encore à peu près publié et dont les mots pourraient se répéter au-delà des générations, disparaît dans l'obscurité, ignoré même par les gens de bonne culture.
Triste symbole de la poésie française... Peut-on même parler de déclin ? Elle est devenue insignifiante, à peine anecdotique... Dans d'autres pays, aux États-Unis par exemple, les choses semblent bien différentes. Est-ce lié à la langue française si peu malléable ? Est-ce lié à notre histoire, où la poésie s'est perdue dans le genre courtisan qui a ringardisé la rime ? Ou au fantôme de Rimbaud, dont le message a intimidé tous ses apprentis successeurs ?
Cachés dans des blogs perdus, dans des revues confidentielles, il existe peut-être des poètes de valeur qui pourraient "parler" au plus grand nombre, et dont les émotions pourraient se transmettre au delà de leur infime cercle. Mais nés dans le désert, ils demeurent stériles, incapables de modeler leur époque, et à ce titre auront peu d'intérêt pour les générations suivantes, si jamais par accident ou grande chance leurs traces ne se sont pas définitivement perdues. 

samedi 6 mars 2021

Retour sur 2020

On craint même de se retourner sur l'année passée et ses fantômes. Tous les bouleversements dans un espace soudain fermé...
Pourtant, c'est dans cette immobilité qu'a surgi la vie, que ce sont enfin réalisées les anciennes promesses. Paradoxe de la gratitude et de la mauvaise conscience - quand 2020, commencée dans l'infertilité supposée, s'achève dans son inverse éclatant, joyeux. 

dimanche 21 février 2021

Une mode passagère

Vu sur Twitter: quelqu'un ironise sur ce vieil article du Daily Mail (décembre 2000) qui décrit internet comme "une mode passagère déjà abandonnée par des millions de gens"... 
Bien sûr a posteriori cela ne paraît guère visionnaire. Mais je me souviens très bien que justement à cette époque-là, il y avait eu une certaine lassitude d'internet. L'effet de nouveauté avait disparu, les pages mettaient longtemps à apparaître, pour ne pas montrer grand chose. C'était un peu avant l'apparition des smartphones, et de tous les sites qui allaient révolutionner nos vies, les réseaux sociaux, les applications. Pour 5-6 ans encore, les jeux étaient sur disques, comme l'étaient encore la musique et les films (ou alors il fallit trouver de pénibles moyens de télécharger).
Seul nous servait le courrier électronique (pour ma part, une boîte Yahoo): internet était devenu quelque chose d'utile sans être excitant. 
Cette courte période de creux a duré un an peut-être, et la question du Daily Mail se posait réellement : un palier avait été atteint sans que l'étape suivante nous apparaisse encore clairement. Par certains aspects (par exemple la lassitude vis-à-vis des réseaux sociaux, ou la surabondance des informations), nous sommes peut-être de nouveau arrivés à ce moment de palier, où le champ des nouveaux possibles nous est pour l'instant incertain, où un retour en arrière semble parfois envisageable, désirable même. 

dimanche 17 janvier 2021

Volver

Dans ces journées immobiles je songe à mes futurs voyages - la préparation d'un voyage étant déjà un voyage. 

Et comme toujours, je voyage à Istanbul, explorant virtuellement les fantômes de Constantinople (la mosquée de Vefa par exemple, nouvellement restaurée, mais il y a 7 ans si croulante et désolée que j'avais passé mon chemin), les quartiers le long du Bosphore, et les alentours de la ville que faute de temps et de compagnie j'avais remis à plus tard, Edirne notamment, ou İznik, que les vieux murs enserrent depuis des millénaires.

Et voilà un autre endroit où je voudrais retourner rapidement : Cordoue, Séville où je ne suis jamais allé, Grenade bien sûr, le palais de Medina al-Zahara, plus loin Tolède... L'un des premiers voyages que j'avais fait sans mes parents (en fait, le premier voyage si j'exclus les séjours linguistiques) et qui m'avait fait une impression profonde. La ville écrasée de soleil, où l'on se refugiait dans des chapelles où trônaient les immenses toiles du Greco, aperçues dans l'abattement de la chaleur et du vin rouge... Souvenirs flous mais heureux. 

lundi 11 janvier 2021

Sailing to Byzantium

Il y a des poèmes lus dans l'enfance qui nous portent pour le reste de notre vie.

Et il y a des poèmes que nous portons en nous sans les avoir jamais lus, qui soudain éclosent au hasard d'une page. Double éblouissement: le jaillissement du poème dans la réalité d'un livre, et le soulagement d'une sensation enfin parvenue à son port.

"Sailing to Byzantium" de Yeats... depuis 20 ans les mots me manquaient pour décrire cette soif étrange de la ville, même si, pour ceux qui auront lu les autres messages de ce blog, la dimension ottomane et même récente de la ville m'a longtemps attirée beaucoup plus que le mythe byzantin. D'ailleurs, j'ai passé de longues semaines à Istanbul sans jamais mettre les pieds dans la Küçük Ayasofya, la Bodrum Camii, l'Imrahor Camii (dont l'accès n'était pas non plus facile). J'étais plus occupé à écouter le muezzin et boire des bières, qu'à me mettre dans les pas des anciens pèlerins. Et surtout, stupidement (?), j'occupais beaucoup trop de temps à écrire mes "romans" dont personne n'a voulu.