mardi 30 décembre 2014

Retour sur 2014

Songeant à quelques situations récentes... Personne ne peut juger pour nous de nos sentiments. Parents, amis, enfants même, préfèrent l'illusion de notre bonheur plutôt que le bonheur.

*

Confirmé par ce Flirt à Hawaï*, gentil film "de nouvel an" dans lequel toutes les situations impossibles finissent par se résoudre - comme s'il était loisible à toutes d'être aimées par un jeune surfeur hawaïen, surtout après quarante ans! Mais mieux vaut regarder cela que le reste de 2014.

dimanche 7 décembre 2014

Troisième mouvement

On peut critiquer cette ville sur bien des points mais, en ce qui concerne la musique classique, Bruxelles est à un niveau d'excellence mondiale réellement étonnant, dont je peine à trouver l'explication... goûts conservateurs de la riche élite belge? soutien permanent de la famille royale? forme d'art qui, se passant de mots, permet de réconcilier les "communautés"?...

*

Concert avec Della Rovere. C'était une fois de plus le Concerto pour l'Empereur, dont une amie m'avait offert une cassette qui m'a accompagné durant toutes mes années d'études...

*

Dans la chambre-cellule de l'internat, au milieu de la nuit, j'écoutais le deuxième mouvement "en boucle" (en fait, en le "rembobinant" à chaque fois). C'était il y a quinze ans, déjà! "La partition est à peine ouverte que semblent exécutés les principaux mouvements", aurait dit Paul Toussaint... Et c'était l'époque du Pas d'un pauvre homme, où la mort m'apparaissait comme une éventualité agréable, pourvu qu'elle soit sans douleur ni sans conséquence (y a-t-il eu le moindre changement depuis?). 

*

Un changement peut-être (?), j'ai prêté plus d'attention au troisième mouvement, que j'avais jusqu'alors souvent passé sans l'écouter: les marteaux du piano, les reprises des vents, le murmure incertain des contrebasses, et les pages qui défilaient sous les mains du chef d'orchestre... Pour un moment, j'ai été spectateur d'autre chose que de moi-même.

vendredi 5 décembre 2014

Le Cavalier de Zenda

Relu, après l'avoir recherché pendant des années (il aura fallu attendre l'émergence du kindle pour y avoir accès!), le Prisonnier de Zenda que j'avais découvert à l'âge de 10 ans et dont le souvenir ne s'était jamais dissipé. Il est vrai que ce livre contient tout ce qu'il faut pour frapper une imagination d'enfant: décorum aristocratique, action, héroïsme, une belle princesse, etc.
Et j'ai retrouvé comme avant, longtemps après, cette intrigue sur le double (qui, comme le très supérieur Cavalier suédois, ne peut que finir mal), le conflit entre amour et devoir, et la palpitante prise de la forteresse de Zenda. M'avait néanmoins échappé le rôle de Rupert von Hentzau, personnage au départ subalterne, et qui prend progressivement plus d'importance que tous les autres, plus que le roi et ses braves soutiens, plus que la princesse Flavia trop stupide pour être dans la confidence. C'est comme si le joyeux traître s'était affranchi des plans de l'auteur, et vivait sa propre vie.
Normalement, on fait mourir ce genre de contre-héros dans une mort atroce - pour le punir et édifier le lecteur. Mais rien de tout cela n'arrive: dans les dernières pages du livre, Rupert parvient à s'échapper sans difficulté, et Rodolphe se refuse à le tuer, fasciné (il y aurait fort à dire sur cette fascination, ou sur des phrases comme "puis il sauta en selle, de côté comme une femme, et m’attendit"!):
"Et, la joue ruisselante de sang, mais la lèvre souriante, Rupert me salua : il salua aussi la paysanne qui s’était approchée en tremblant de tous ses membres et il partit au galop en faisant de la main un geste d’adieu à Fritz, qui répondit par un coup de feu.
La balle fut bien près de faire son œuvre ; elle alla frapper l’épée qu’il tenait à la main, et qu’il lâcha en poussant un juron.   Je le suivis longtemps des yeux, le long de l’avenue verte ; il s’en allait tranquille, en chantant. Bientôt les profondeurs de la forêt l’enveloppèrent et nous le perdîmes de vue. Il avait disparu, indifférent et circonspect, gracieux et pervers, beau, couard, vil et indompté."

C'est sur ce flot spectaculaire d'épithètes, sur cette statue équestre bondissante, que restera le lecteur, l'obligeant à remettre en perspective toute l'histoire. Après tout, Rupert de Henzau n'est-il pas le seul à proposer à Rassendyll une solution raisonnable vers le bonheur (tuer tout le monde, retrouver la princesse et rester roi)? Tous les autres le condamnent à une vie malheureuse. 
Et peut-être, outre le côté vieillot du livre, est-ce son absence de morale qui fait qu'on ne l'édite plus? Je n'avais pas compris ce message, à l'époque: il y a plus de fortune à se conduire en "scélérat" qu'à suivre le chemin que commande l'honneur!

samedi 29 novembre 2014

La figure du dehors (2)

Sa critique incessante et justifiée de l'esprit français: "aux cercles de géographie, ils préfèrent les mots croisés. Il en est ainsi depuis trois siècles." Autre exemple: notre volonté de 'conclure' (qu'il regrette chez Saint-John Perse), d'empaqueter le texte par une chute magistrale - comme s'il était impossible de laisser la moindre ouverture, un vide fécond. Nous nous gargarisons de mots et de formes parfaites, artisans luxueux mais peu inspirés. Il est à espérer que le bouturage de la langue française en Afrique ragaillardira notre imaginaire, même si c'est une culture qui nous est étrangère (et qui n'a jamais été une réalité bien tangible dans la culture européenne (à la différence de l'Asie). Au moins partagerons nous les mots et les phrases, à défaut d'autres richesses!

*

J'ai déjà parlé de ce sujet, et à la réflexion je me demande s'il n'en est pas des prophètes de la francophonie comme des vaincus de 1940 qui rêvaient encore à une "force noire" surgie de lointaines terres. Pour l'instant, on en est plus au fantasme qu'à la puissance.

vendredi 28 novembre 2014

Corée du nord

Difficile de savoir quelle est la part de marketing dans la décision de Sony de ne pas diffuser son film The Interview. Comme si la Corée du nord pouvait sérieusement provoquer des attentats aux États-Unis (?). C'est douteux.
Mais les nord-coréens ont certainement eu peur d'un film qui, s'y j'en crois la bande annonce, les couvre de ridicule, leur fait perdre toute crédibilité. C'est ainsi qu'il faut traiter ces dictatures, qu'il fait traiter les islamistes, et tous les autres! Ce n'est pas autrement que l'on découragera les djihadistes en herbe. Le scénario de leur obscénité s'expose sans vergogne chaque nouveau jour. Mais qui osera prendre un tel risque?

La figure du dehors (1)

Fascinant livre de Kenneth White*, lu en quelques allers-retours... On lit des ouvrages sur la poésie comme on se replonge dans une eau délicieusement fraîche, dans les rêves de l'adolescence. La grande poésie de Saint-John Perse, la "lettre du voyant", la vraie vie qui est ailleurs, etc.
Ce que c'est
qui demeure ici
je ne le sais
mais mon cœur
est plein de reconnaissance
et j'ai des larmes aux yeux.
(Saigyo)

J'avais cru à cette figure du poète ("trouver un espace vital pour le plus grand bien de tous"), et non pas juste un fou, ou quelqu'un qui exprime "un sentiment personnel, une jolie façon de dire"... J'en étais très loin, mais au moins l'avais-je dans mon azimut. Maintenant, je l'ai perdu de vue. Je ne sais plus si tout cela n'était pas une illusion, un feu d'artifice de mots qui masquaient la "vraie vie"; je me demande si Rimbaud n'a pas inconsidérément tué la poésie. Qui peut encore écrire des vers après lui? Qui peut encore peindre après Van Gogh? La poésie comme la peinture ne sont plus des faits majeurs du monde contemporain - non qu'il n'y ait aucun artiste de valeur aujourd'hui, mais qui les lit, qui les regarde? Leur art ne parle plus à personne. "La poésie n'est pas un élément moteur de notre monde et elle est socialement, culturellement inopérante."
Il y a de bons plasticiens et des écrivains talentueux, certes, mais ce n'est plus de la poésie et à peine de la peinture. Sans doute existe-t-il quelques ermites comme Kenneth Withe, comme le peintre Berlinghieri dont il faudra raconter l'histoire. Des poètes hyperboréens de haute stature:
"Comme un vent violent, comme une baleine blanche, comme un ange... chaque poète exprime l’expérience originelle avec les symboles qui lui sont particuliers, la densité charnelle et spirituelle de son langage propre, mais l'expérience demeure fondamentale pour tous. C'est le départ du Bateau ivre: "et dès lors, je me suis baigné dans le Poème / De la Mer, infusé d'astres, et lactescent" - le premier élan de la potentialité, le sujet naissant à lui-même en tant que centre d'énergie, et l'arrivée sur un sol ontologiquement plus riche. "Un jour j'ai vu tes yeux, ô vie, et je me sentais tomber dans un abîme sans fond", dit de son côté Zarathoustra."

dimanche 16 novembre 2014

Une sorte de hongrois...

Chercher à susciter le désir (comme si j'ignorais ce qu'il en est*), chercher à susciter le désir maternel*, provoquer la vie ensemble*, toutes ces choses, tous mes amis semblent les vivre sans même qu'il y ait le moindre questionnement... Ils s'évertuent à me donner une image parfaite de leur vie de couple (ou est-ce la réalité?), en exhibent les fruits, et s'ils se plaignent c'est uniquement de faits extérieurs, problèmes d'argent, situation politique, etc. Il faut creuser longtemps pour entrapercevoir ce qu'il y a en dessous,  traces archéologiques peu fiables, dispersées dans l'air à peine découvertes. Je cherche une réponse dans les livres, mais je ne trouve rien - maintenant qu'il faut parler de tsunamis*, de drames haïtiens*, de pervers narcissiques*, bref, de sujets un peu exceptionnels, pour espérer une publication. Les petites émotions et frustrations du quotidien, tout le monde s'en fiche.
J'ai souvent l'impression d'être un langage isolé surgi de steppes sauvages, une sorte de hongrois sans aucune parentèle, incapable de me faire comprendre (ce ne serait pas un grand drame), incapable surtout de trouver la moindre correspondance entre les mots des autres et ce que je vis. J'avance, je piétine dans ce monde bavard mais inintelligible, avec mes silences.

mardi 11 novembre 2014

Festivus... (2)

L'évocation de l'Homo festivus m'a rappelé l'avant-dernier poème de Paul Toussaint*, recopié ci-dessous.
Peu convaincu par le forme "non poétique" de son texte, il avait écrit "à prendre ou à laisser" le long de la feuille. Je lui avais recommandé de garder ce sous-titre qui pouvait s'entendre comme l'étiquette à coller sur l'homo festivus et sur ce poème sans valeur, auquel je n'aurais plus jamais pensé s'il n'avait été précisément son avant-dernier... C'était chercher, dans le message d'un vieillard dont la mort approche, des cohérences cachées au milieu d'incohérences, un testament révélé depuis l'autre côté du seuil. C'était également constater l'échec de l'homme et du poète, à l'époque où s'achevait un des "cycles" de ma vie - oui, encore un cycle semblable à celui qui s'achève ces mois-ci - destructions, distractions - et je me demande où je trouve la force stupide de croire aux recommencements.

*

Festivus festivus. 
(à prendre ou à laisser)

Il prend la vie telle qu’elle lui vient.
Les lois, il les crée à sa demande.
Les autres, distraction et satisfaction,
De vagues plaisirs, n’attendent rien d’autre de lui.

Il s’aventure depuis l’enfance dans ce va-et-vient,

D’où nul Dieu père tout puissant ne viendra le surprendre.
Et qu’il soit seul, ennuyé, sans passion,
Pauvre passage ! Pauvre message qu’il terre au fond de lui.

La vie lui offre ce qu’il faut de temps de joies de liens.

Et même la mort est lointaine et tendre…
Les autres, distractions et satisfactions,
De vagues désirs, attendent la même chose de lui…

Attendent tous la même chose que lui !

Festivus...

Je tombe sur un résumé du livre Chers Djihadistes* par Philippe Muray: "Il y a fort à parier que son djihadiste soit la figure ennemie, et contrariante, de l'Homo festivus." Certes... mais Philippe Muray a écrit ce livre en 2002; il avait sous les yeux les premiers djihadistes d'Al-Qaïda, mystérieux ingénieurs bien intégrés dans le monde, issus de familles riches, ou étudiants dans de brillantes universités, etc... La guerre en Syrie nous en fait désormais voir une nouvelle sorte, rejetons fragiles de nos sociétés, emportant comme seuls bagages dans l'avion d'Istanbul le "Coran pour les nuls" et leur smartphone pour poster des messages sur Facebook... On est loin de la grandeur religieuse. Et le nouveau djihadiste n'est pas "la figure contrariante de l'Homo festivus", il en est un des avatars les plus accomplis, séduit avec des arguments d'ordre "festivus" - le djihad devenant un moyen de s'accomplir dans le monde pour ceux que la société moderne avait condamnés à une oisiveté stérile, pour ceux qui ne participeront jamais aux "festivités" promises!

mercredi 5 novembre 2014

Dérèglements

Article sur la "grossesse nerveuse" de ces pères modernes impliqués dans la grossesse de leurs compagnes au point d'en subir les dérèglements hormonaux.
Mais j'ai mieux: un homme que fait une grossesse nerveuse "de substitution", sans que sa compagne ne soit enceinte, juste par désir de paternité frustré. On ne souligne pas assez le pouvoir absolu des femmes en matière de conception et l'angoisse profonde que cela peut provoquer chez les hommes contemporains devenus de stupides spectateurs impuissants. La nouvelle répartition des taches dans le foyer n'a peut-être pas uniquement sa cause dans le travail des femmes, mais pourrait aussi venir du désir des hommes de prouver une utilité désormais précaire dans le foyer. D'être autre chose qu'un gros bœuf qui regarde le train passer, tout juste bon à participer à la nourriture, à meubler le paysage.

mardi 4 novembre 2014

Sabordages

Nouvelle stupidité de David Cameron qui annonce vouloir se retirer de la Cour européenne des droits de l'homme*, ce que ni Erdoğan, ni Poutine n'avaient fait jusqu'ici. Tout ce qui porte le nom d'européen il voudrait l'exclure, et jusqu'aux hommes*...
On ne sait pas trop à quels intérêts privés pro américains (Murdoch?) ou américains (?) il cherche à se soumettre. Quoi qu'il en soit, l'histoire lui fera payer très cher d'avoir sabordé "l'idéal européen" pour quelques considérations à courte vue, de même qu'il a failli saborder son propre pays (!) en caressant le populisme de quelques politiciens écossais dans le sens du poil. On rêverait d'hommes d'État de haute stature, mais ce n'est plus guère possible malheureusement.


Et désormais, la question ne semble plus être si le Royaume-uni quittera l'Union, mais, plus grave encore, si l'Union pourra survivre à cet échec. Le Royaume-uni était certes depuis longtemps un perturbateur du projet, mais au moins était-il dans le projet. Ce n'est pas comme l'insignifiante suisse dont tout le monde peut se passer. Le Royaume-uni fait partie de l'Europe, de quoi ferait-il partie sinon? Et il fait partie de la civilisation européenne, bien sûr.
On rétorquera que l'Union et ses institutions ne représentent pas forcément l'Europe et sa civilisation. Mais c'est justement en cela que le projet européen est en train de réussir! Donner une conscience européenne aux peuples. Il est certes encore trop tôt pour que cette conscience se matérialise dans des institutions incontestées. Les Américains qui détestent Obama n'en appellent pas pour autant à la dissolution de Washington...


Dans le même ordre d'idées pessimistes, Jean-Claude Juncker* répète de façon maladroite que sa commission est celle "de la dernière chance" - sinon quoi? Si le projet échoue, l'Union deviendra un mythe puissant, un regret... Nos pays survivront, sans doute moins bien, feront de la convergence par défaut, se chamailleront inutilement. Et il reste à voir si cette Europe-là sera encore habitable pour nous.
Enfin, tous ceux qui critiquent le rôle de l'Allemagne seraient mieux inspirés de faire des propositions sérieuses, car en l'état actuel c'est le seul État à se battre pour la stabilité et l'unité européennes, non sans peine. Qu'a proposé la France, à part se gargariser de concepts creux comme "l'Europe politique", mentir systématiquement sur ses engagements, et perdre tous ses alliés en Europe?


PS: Qu'il soit permis de rêver à ce que pourrait apporter à l'Union un Royaume-uni pro-européen, avec sa prospérité, son savoir et son ouverture culturelle. Quel gâchis.

jeudi 23 octobre 2014

Le rêve géopolitique

Je lis par intermittence La revanche de la géographie de Robert D. Kaplan*. On sait que j'ai toujours été méfiant vis à vis du déterminisme géopolitique et de ses théories trop fumeuses. Ce doute n'est pas absent chez Kaplan... 
Et plutôt qu'une revanche de la géographie, je pencherais plutôt pour une revanche de la démographie: on ne peut pas expliquer le monde de demain ou d’aujourd’hui sans cet aspect, le conservatisme de l'Allemagne, l’écroulement de la Russie, l'émergence de l’Afrique, les convulsions du monde musulman... Ce sont des aspects profondément humains qui n'ont plus grand chose à voir avec la géographie, surtout de nos jours (plutôt avec la culture et la politique familiale).
Mais ce genre de livre est toujours pour moi une lecture captivante, qui ouvre grand la porte du "rêve géopolitique", la lutte des grands ensembles, les destinées des masses... Par exemple, on pourrait imaginer que, une fois le pétrole ayant perdu de sa valeur, le Moyen-orient se ressaisira, abattra les régimes complices de son déclin, se regroupera en une vaste "fédération" pacifique et prospère (une sorte d'Union européenne), rendant enfin la Méditerranée et le Levant fréquentables.
On y reviendra.

jeudi 16 octobre 2014

Deux phrases de Nicolas Bouvier

Enfin, lire autre chose que des phrases logiques sujet-verbe-complément, déchiffrer des phrases dont l'ordre semble retravaillé comme les détails d'une enluminure, comme une caligraphie éblouissante.

"Ici, le vent même n'entre pas. Les feuilles mortes de plusieurs années tapissent les toits, les terrasses, les escaliers acrobatiques, et craquent sous le pied."
(on dirait aujourd'hui "même le vent n'entre pas", mais ici le vent restera bloqué en début de phrase; tandis que "et craquent sous le pied" rejeté à la fin, une fois qu'on a bien observé les feuilles et que l'on a commencé à se hasarder sur l'escalier acrobatique... c'est du bel ouvrage).

"Aujourd'hui que le Balouchistan est tranquille, ces chagrins ont disparu avec le général, et Bam, c'est surtout une mosaïque de jardins entourés de fortes enceintes qui servent de propriétés de plaisance aux arbabs du Kerman."
(la phrase n'est pas claire: "de fortes enceintes qui servent de propriétés"? ce sont les jardins qui sont la priorité; mais il fallait grouper les "jardins entourés de fortes enceintes", l'image du jardin clos, du paradis persan - on s'amuse à relire la phrase pour comprendre, et soudain l'on est transporté...)

*

J'ignore si ce genre de subtilités raffinées est enseigné dans les "ateliers d'écriture" ou dans la prochaine télé-réalité littéraire (comme si un roman pouvait s'écrire à vingt mains!). Une intrigue bien construite, des personnages auxquels on s'attache, c'est essentiel -  mais ce sont des kleinigkeiten telles que ces deux phrases qui suscitent la joie de lire, pépites dans le lit d'une rivière trop promptement traversée, et où l'on reviendra prospecter, un jour.

mardi 7 octobre 2014

Même ce peu

Geste de tendresse aussi furtif qu'inattendu, et je me suis endormi sereinement, comme en une nuit d'été profonde, sous un firmament glorieux... J'ignore en quoi je mérite ces attentions, je fais comme je peux avec mes maigres moyens. Je ne sais pas si mes agendas sont légitimes, ni mes espoirs atteignables. Je sais ce que je dois à Della Rovere en bonheur et en stabilité. Je sais le peu que je conserve dans notre nouvelle vie nomade et décousue mais, dans toute autre vie, même ce peu serait perdu.

vendredi 3 octobre 2014

Racine dans les ténèbres

Comment ne pas songer au poème de Neruda chez ce coiffeur singulièrement désagréable (je néanmoins peux imaginer ce que son métier doit parfois avoir de rébarbatif, et ce que peut avoir de décourageant la coupe de mes cheveux informes et en voie de disparition !)? A chaque fois que je m'observe sous ces lumières trop vives, dans ces miroirs indirects, je suis "fatigué d'être un homme", fatigué d'être.

"L'odeur des coiffeurs me fait pleurer à cris.
Je ne veux qu'un repos de pierres ou de laine,
je veux seulement ne pas voir d'établissement ni de jardins,
ni de marchandises, ni de lunettes, ni d'ascenseurs.

Il arrive que je me lasse de mes pieds et de mes ongles,
de mes cheveux et de mon ombre.
Il arrive que je me lasse d'être homme."

jeudi 25 septembre 2014

Sur le bonheur

Quant aux élections présidentielles turques du mois dernier, que j'ai oublié de commenter en leur temps, je crois qu'il n'y a pas grand chose à dire. Ni la corruption, ni la violence, ni la démesure, n'ont suffi à faire changer d'avis les électeurs (avaient-ils beaucoup de choix?). Sans doute faut-il enfin reconnaître que le radicalisme islamique correspond à un désir profond des sociétés musulmanes, qui aspirent à vivre selon des valeurs différentes: même si nous les considérons nocives et mal-fondées, qui sommes-nous pour juger? La liberté individuelle n'est peut-être pas le criterion du bonheur collectif... (je me refuse à y croire, mais personne ne me demande de vivre dans une telle société!).
L'expérience de la laïcité nationaliste turque n'a certes pas été si positive. Et il faut sans doute accepter que nos modèles soient mis en échec, pour en tester la robustesse. Combien faudra-t-il de victimes collatérales? Tous ces amis de Gezi et d'ailleurs, dont l'avenir est obscurci, dans un pays qui va se refermer lentement sur eux... J'aimerais me tromper.

Quoiqu'il en soit, les djihadistes de "l’État islamique en Irak et au Levant" (quel nom usurpé!) devraient méditer l'expérience de leurs voisins avant de vouloir imposer leur "califat" par une violence qui ne les mènera qu'à l'anéantissement (alors qu'ils étaient jusque récemment plus que tolérés).  Le califat se crée déjà sous nos yeux en Turquie, de façon somme toute paisible et démocratique pour une révolution de cet ordre. Il n'y a pas de regret à avoir. C'est un pays que j'ai aimé et que j'aime, dont je continuerai à suivre l'évolution, mais ce n'est pas mon pays*.

lundi 22 septembre 2014

Un homme heureux

A propos de rencontres, je me souviens de cet ami d'ami d'amie avec qui nous avons déjeuné à Ortaköy (c'est amusant d'observer ces souvenirs remonter à la surface, plus d'un an après). Il était producteur de télévision, bel homme, l'air direct et heureux, sportif - il revenait d'une croisière en catamaran dans les îles grecques avec sa famille. Il habitait une maison à Kandilli, traversait le Bosphore tout les matins pour prendre son scooter à Bebek et monter en cinq minutes au studio. Puis il empruntait le chemin inverse le soir, dans ce paysage somptueux, pour retrouver sa (très belle) femme et ses deux enfants, dont il me montrait des photos sur son téléphone. Les weekends, il partait avec son bateau amarré en contrebas, et voguait vers les îles... Me méfiant de ce récit trop parfait, pourtant dit avec modestie et sans volonté d'impressionner, j'ai posé des questions détournées pour découvrir des failles, quelque problème de santé, des difficultés d'affaires dans le contexte politique chahuté, des doutes sur l'avenir, mais je n'ai rien trouvé. C'était comme s'il était en train de vivre un de mes vieux rêves enfouis...

*

Je comprends maintenant en quoi cet homme était extraordinaire. Je n'avais jamais entendu quelqu'un déclarer aussi ouvertement son bonheur au premier venu, surtout en France (est-ce par superstition? pour ne pas attirer le "mauvais œil" ou l'attention du fisc?): mes amis ayant "de belles situations" se plaignent qu'ils travaillent trop, les autres qu'ils ne travaillent pas assez, tous se lamentent des prix de l'immobilier, ceux qui ont des enfants regrettent de ne plus pouvoir dormir, les autres s'effraient du silence qui les menace, les moches râlent, les beaux s'inventent d'autres problèmes, rien ne va... Certains finissent par avouer une forme d'équilibre - mais lui vivait un équilibre si haut!

Etais-je envieux? A vrai dire, même pas. J'ai simplement eu l'impression de ne pas faire partie de la même humanité, de ne jamais pouvoir faire qu'observer un pareil accomplissement - et demande-t-on au spectateur ébloui, quand la lumière se rallume dans la salle, s'il est jaloux du cinéaste qui a créé le chef d’œuvre qu'on vient de projeter? A vrai dire, j'étais presque heureux d'apprendre - assis à la terrasse ensoleillée d'Ortaköy - qu'un tel bonheur pouvait exister sur cette terre, j'en suis presque heureux en y repensant!

A l'est d'Erzurum

"A l'est d'Erzurum, la piste est très solitaire..."

Par paresse je cherchais la citation de Nicolas Bouvier* sur Internet au lieu de la recopier depuis le livre, et je suis tombé sur ce blog éphémère, que son auteur a dû abandonner quand il s'est rendu compte que ses seuls lecteurs étaient "des robot d'indexation Google"...

"(...) Au loin une rangée de peupliers dont les branches nues se découpent sur l'horizon crépusculaire. Je ne sais si c'est l'émotion de cette belle lumière propagée dans l'air glacé mais je me sens apaisé, ouvert: quelques gouttes de mélancolie dissoutes dans l'eau de mon corps.
Je reconnais ce sentiment. Il me fait vibrer à basse fréquence comme le son d'une corde. Pourtant je me sens moins aiguisé qu'à l'adolescence, quand mes cheveux étaient gras et que j'étais bassiste. Peut être que c'est ça grandir, s'émousser. On dit de moi que je suis spontané. On dit que j'ai l'esprit vif mais je peine à m'émouvoir."

"Son regard était clair, baigné d'instinct maternel. C'était ce qu'elle avait de plus beau ce regard sûr et affectueux et ses yeux bleus gris. Le regard d'une mère. Elle était belle. Je me réjouis du jour où je regarderais Lucile par-dessus la table du petit déjeuner dans un moment de lucidité trop rares au rythme de la vie moderne. Son regard léger du matin porté sur moi, les cheveux grisonnants, les rides au coin des yeux et des lèvres à force de sourires et le doux teint de peau des femmes de 40 ans."

"Je me souviens à midi du quai de gare ensoleillé exposé au vent frais, les vitres paysages tapissées d'une épaisse couche de poussière brune à travers lesquelles je reconnaissais sa façon de marcher, le dos courbé par un volumineux sac de randonnée. Nous nous souriions tout les deux, sans oser pleurer, sans savoir quoi faire de ce moment précieux. Tristesse effleurée. Lorsque le train s'éloignait j'étais presque surpris de la simplicité apparente de nos adieux. J'ai le sentiment aujourd'hui de n'avoir rien compris à ces moments, de n'avoir rien partagé de mes tristesses, pertes et solitudes.
A quoi sert l'amour sinon? On peut bien partager ses joies avec le cafetier. "

Analyses de quelques nuages (2)

Sur ces moments de grande quiétude, je cite ce prodigieux passage du Voyage en Égypte* de Flaubert (livre glané dans la bibliothèque des Della Rovere, et qui fut une des heureuses découvertes de cet été*):

"Coucher de soleil sur Medinet-Abou. Les montagnes sont indigo foncé (côté de Medinet-Abou) ; du bleu par-dessus du gris noir, avec des oppositions longitudinales lie de vin, dans les fentes des vallons. Les palmiers sont noirs comme de l’encre, le ciel rouge, le Nil a l’air d’un lac d’acier en fusion. Quand nous sommes arrivés devant Thèbes, nos matelots jouaient du tarabouk, le bierg soufflait dans sa flûte, Khalil dansait avec des crotales ; ils ont cessé pour aborder. C’est alors que, jouissant de ces choses, au moment je regardais trois plis de vagues qui se courbaient derrière nous sous le vent, j’ai senti monter du fond de moi un sentiment de bonheur solennel qui allait à la rencontre de ce spectacle, et j’ai remercié Dieu dans mon cœur de m’avoir fait apte à jouir de cette manière ; je me sentais fortuné par la pensée, quoiqu’il me semblât pourtant ne penser à rien, c’était une volupté intime de tout mon être."

Dans le même ordre d'idée, ce passage de Nicolas Bouvier* (on ne pourra pas dire que je ne gâte pas mes rares visiteurs... et quoiqu'il en soit, j'aurai lu ce qu'il fallait lire!):

"A l'est d'Erzurum, la piste est très solitaire. De grandes distances séparent les villages. Pour une raison ou une autre, il peut arriver qu'on arrête la voiture et passe la fin de la nuit dehors. Au chaud dans une grosse veste de feutre, un bonnet de fourrure tiré sur les oreilles, on écoute l'eau bouillir sur le primus à l'abri d'une roue. Adossé contre une colline, on regarde les étoiles, les mouvements vagues de la terre qui s'en va vers le Caucase, les yeux phosphorescents des renards. Le temps passe en thés brûlants, en propos rares, en cigarettes, puis l'aube se lève, s'étend, les perdrix et les cailles s'en mêlent... et on s'empresse de couler cet instant souverain comme un corps mort au fond de sa mémoire, où on ira le rechercher un jour. On s'étire, on fait quelques pas, pesant moins d'un kilo, et le mot bonheur parait bien maigre et particulier pour décrire ce qui vous arrive.
Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur."

Il me semble avoir lu quelque chose de similaire dans Rousseau, mais ce souvenir des Rêveries* date de plus de quinze ans: on ira vérifier.

dimanche 21 septembre 2014

Sur Istanbul (3)

La phrase que l'on entend tout le temps chez les amis stambouliotes de plus de cinquante ans et chez leurs enfants se retrouve aussi dans le livre de Sébastien de Courtois: "Istanbul est une ville qui devient sans culture et sans histoire, il y a un tel renouvellement de population qu'elle change avec chaque génération. La mémoire se perd et ceux qui en sont les gardiens sont mal vus, perçus comme des êtres élitistes alors que, au contraire, la ville dont ils parlent était beaucoup plus ouverte et généreuse que celle que l'on nous présente aujourd'hui." 
Il est vrai que la façon dont les autorités (et ses habitants?) considèrent leur ville est assez lamentable: destructions, parcs laissés dans un abandon complet (quand il y en a), et, pour les monuments qui ont l'heur de plaire au parti, restaurations/reconstructions dans un style plus proche de Disneyland que de Soliman le magnifique... On ne sait pas s'il faut incriminer la pauvreté ou la prospérité, sans doute un peu des deux.

*

Malgré tout, quand on lit le Constantinople de Théophile Gautier*, il y a des similitudes étonnantes. Tout a changé, et pourtant... Parce qu'il s'est attaché aux détails, à la nature, aux hommes, plutôt qu'à des bâtiments détruits ou à des systèmes politiques changeants, Gautier fait surgir des expériences qui se reproduisent fidèlement à cent cinquante ans d'intervalle. Son récit des nuits de ramadan et de leur atmosphère de kermesse par exemple (remarque en passant: les kiosques en bois installés le long de la place Sultanahmet, l'ambiance bon enfant, les souvenirs en toc, et les multiples tentations gustatives, m'ont surtout évoqué le marché de noël de Strasbourg...).
Même sensation dans sa description du quartier de Vefa, derrière la Sülemaniye*.  J'y cherchais une église oubliée, quand je me suis soudain retrouvé dans une zone silencieuse, à moitié en ruine (en prévision d'une opération immobilière?), peut-être squattée par des réfugiés d'autres quartiers ou d'autres provinces (?). Il n'y avait absolument personne. Et voici, mot pour mot, ce qui s'est passé: "A mesure que nous avancions, la solitude se faisait ; les chiens, plus sauvages, nous regardaient d'un œil hagard et nous suivaient en grommelant. Les maisons de bois déteintes, chancelantes, avec leurs treillis démaillé, leurs étages hors d'aplomb, présentaient an aspect de cages à poulets effondrées. Une fontaine en ruines laissait filtrer son eau, extravasée dans une conque verdie; un turbé démantelé envahi par les ronces, les orties et les asphodèles, montrait dans l'ombre, à travers ses grilles obstruées de toiles d'araignée, quelques cippes funèbres penchant à droite et à gauche et n'offrant plus que des inscriptions illisibles; un marabout arrondissait son dôme grossièrement plâtré de chaux et flanqué d'un minaret semblable à une chandelle coiffée de son éteignoir ; au-dessus des longs murs, jaillissaient des pointes noires de cyprès, ou se déversaient sur la rue des touffes de sycomores et de platanes; plus de mosquées aux colonnes de marbre, aux galeries mauresques, plus de konacks de pacha peints de vives couleurs et projetant leurs gracieux cabinets aériens, mais par places de grands tas de cendres au milieu desquels s'élèvent quelques cheminées de briques noircies restées debout, et sur cette misère et cet abandon, la pure, blanche, implacable lumière d'Orient, qui fait ressortir cruellement la tristesse de chaque détail."

Sur Istanbul (2)

Pour le peu de temps que j'y ai passé, ma vie à Istanbul a été très différente de celle d'ailleurs. J'y ai fréquenté un monde que je n'ai jamais connu par exemple à Paris, des architectes, des artistes, des professeurs, etc. Hasard? Mais en lisant Un thé à Istanbul, je me rends compte que Sébastien de Courtois a rencontré des personnes similaires, en plus brillantes encore, et fréquenté les mêmes quartiers. Je peux supposer que Sébastien de Courtois a dû trouver le reste de la ville et de ses habitants bien monotones quoique pittoresques. Comment aller ailleurs, et qui voir d'autre?
On peut se reposer sur un cliché du Bosphore, sur les plaisirs de la table, sur quelques notes de saz... A distance cela fonctionne, mais de près? La joie de vivre se craquèle vite sur de profondes failles, au détour d'une conversation ou quand on a poussé une porte inattendue, qui ouvre sur une autre porte, qui ouvre sur une autre porte... Mais l'essentiel demeure secret.
Par exemple, cette connaissance rapidement aperçue et dont j'ai pu reconstituer le problème en discutant avec sa sœur et un de ses amis: "étudiant à vie", prolongeant son cursus à Istanbul, à Lyon, à Izmir, agréable mais accablé par la dépression: j'ai compris qu'il poursuivait ses études uniquement pour ne pas faire son service militaire, parce qu'il est terrorisé à cette idée (sans doute, ayant quelques liens arméniens, a-t-il en mémoire l'affreuse affaire Sevag Şahin Balıkçı* et craint-il pour sa vie?). Il est bloqué, comment ne pas être dépressif? C'est autre chose que nos petits problèmes de cul* et de travail!
Différences fondamentales ou anecdotiques... Une journaliste faisait remarquer que la Turquie est un pays où l'on rit très peu, et où il est même très mal vu de sourire. Un autre détail frappant: l'uniformité des couleurs de vêtement (même dans les quartiers "occidentalisés"), noir, bleu très foncé, ou le plus souvent maronnasse et beigeasse - pas étonnant que la Kırmızılı Kadın soit devenue contre son gré le symbole de la révolte de Gezi!
Cet aspect glauque et sinistre de la Turquie m'avait sauté aux yeux lorsque j'étais arrivé par le train de Zeitinburnu, puis dans le tramway d'Aksaray (pour faire des économies et parce que je ne connaissais rien, j'avais évité le bus): une pluie brusque venait de s'abattre, je ne savais pas où aller, je ne comprenais plus ce que j'étais venu faire ici... J'ai été pris d'un désespoir profond.

L’expérience désastreuse de Nicolas Bouvier* résume bien ce sentiment: "Sur la rive d’Asie, les étourneaux ricanaient tendrement dans le feuillage des sorbiers. Le long des rues étroites qui montent vers Moda, dans des tavernes éclairées à l’acétylène, les portefaix et les chauffeurs, assis devant leur lait caillé, épelaient lentement le journal, lettre par lettre, faisant retentir tout le quartier d’une incantation murmurée d’une extraordinaire tristesse. L’automne putride et doré qui avait saisi la ville nous remuait le cœur."

Sur Istanbul (1)

D'abord, Un thé à Istanbul* (prétentieusement sous-titré "récit d'une ville"), par Sébastien de Courtois. Le livre commence mal: "Je me dois à une certaine franchise. Lecteur, je t'écris d'une île. Oh, pas une des ces îles que l'on imagine en fermant les yeux et dont les reflets s'en vont avec la rosée"... On imagine déjà la Français istanbulolâtre qui va nous asséner mille clichés sur la "ville des villes"* ou le faufilement de l'appel à la prière au dessus des collines*. Pourtant, on se prend rapidement au jeu des rencontres et les phrases font écho à différents expériences vécues, impressions légitimes. Je ne sais pas si cela suffit pour en faire le récit d'une ville, c'est davantage le récit de la vie somme toute habituelle que j'ai connue aux amis français qui y résidaient: soirées à Beyoğlu, discussions avec quelques intellectuels (pas de moindres!), amitiés solides ou éphémères...

La réponse à cette interrogation se trouve dans un passage du livre (que je ne parviens à plus à retrouver), où l'auteur remarque, lors d'un dîner à Hong-Kong, que tous les invités semblent fascinés par le fait qu'il habite à Istanbul. C'est comme si la ville avait donné à son résident même temporaire un attrait particulier, comme s'il gardait encore sur lui quelques poussières de la légende, et comme si tout se qui s'y déroule, même des faits insignifiants, devait porter la marque de l'histoire et de l'éternité... On connaît la phrase de Napoléon que les Turcs répètent à l'envi* - mais pour en faire la capitale du monde, il aurait fallu commencer par ne pas en "renvoyer" toutes les minorités non-turques, et par laisser chacun vivre comme il le souhaite! "Il faudra cesser un jour de clamer la beauté d'Istanbul et son cosmopolitisme, me dit-il soudainement. C'est faux dans les deux cas. Istanbul n'est ni une belle ville ni cosmopolite!"

mercredi 17 septembre 2014

Causes écartées

Je me suis tenu à l'écart du débat sur le "mariage pour tous" (l'historien du futur ne devinera pas les hystéries et passions que ce sujet aura provoquées - le rejet très ferme du "vivre ensemble", de l'appartenance à la communauté nationale dont les conséquences se feront sentir longtemps, notamment dans les milieux "zurichois" que je connais bien). 
C'était plus par indifférence que par conviction.

Que la république valide l'union de deux citoyens qui veulent s'établir ensemble durablement, et l'affirmer publiquement, me semble légitime. C'est la nature même du mariage civil d'être un événement public (et non pas privé! il m'a fallu un moment pour le comprendre...), mais le mariage civil va au-delà: l'essentiel des articles se rapportent aux enfants, à leur éducation, etc. Le mariage civil me semble même bien plus orienté vers la filiation que le mariage religieux, avec sa mystique de l'union en Dieu - dans laquelle les enfants occupent finalement une place un peu résiduelle (sans doute les prêtres contemporains ont-ils quelques pudeur à évoquer la procréation durant la messe?).
Que les homosexuels souhaitent avoir des enfants, se comprend... Mais la notion de "droit à l'enfant" n'a aucun sens (ce n'est ni un besoin vital, ni un besoin civique). Je ne doute pas que des homosexuels puissent être de "bons parents", même s'ils devront faire preuve de beaucoup de persévérance (justement parce que la société dans laquelle leurs enfants évolueront n'y est pas prête). Toutefois, nous ne sommes plus dans une situation où des milliers d'enfants croupissent dans des orphelinats, donc l'utilité sociale de ces nouveaux parents me semble limitée. 

Quant à la "grossesse pour autrui", que ce soit pour des homosexuels ou des hétérosexuels, je ne comprends pas que ce soit une revendication appuyée par la gauche: il n'y a que dans un monde "ultra-libéral" extrêmement perverti que des riches puissent acheter le ventre d'une femme pauvre. La grossesse n'est pas un acte neutre - combien faudrait-il payer? Et même si une femme dans le besoin acceptait de s'y résoudre, l’État doit-il s'y résoudre? Cette cause me semble indéfendable et répugnante.

dimanche 7 septembre 2014

Napolitain vaincu

Dans la série des déceptions estivales, Naples... dont je me faisais pourtant une si grandiose idée! Monuments surprenants, portes gigantesques des palais (quelle humanité pouvait donc y loger?), églises décorées selon mon goût, certes, mais... La ville m'a semblé manquer de tout l'agrément de l'Italie, les habitants m'ont semblé apathiques, malheureux (écrasés par les soleil d'août? pourtant il ne faisait pas si chaud). Le linge qui pend, les crucifix fleuris, les klaxons, les cris, tout ce folklore napolitain sonne faux, sorte de comédie usée (qui consiste aussi à prendre l'étranger pour un crétin - mais c'est de bonne guerre).
Est-ce l'influence de la mafia qui couvre toute joie de vivre, la crise économique plus forte ici qu'ailleurs? La ville est restée pour moi mystérieuse, muette; on cherche en vain la civilisation et l'urbanité, et l'on ne voit qu'une population craintive, recluse dans ses cavernes. "Mes jugements me jugent"*, je le sais et je me précipite de dire que la saleté ou la pauvreté ne sont pas pour moi des critères de valeur (surtout en tant que touriste). Mais à quel voyageur peut réellement plaire ce désespoir, ce marasme? 

*

Tentative d'explication... Peut-être me suis-je moi-même considéré indigne des palais que j'envisage d’habiter, prompt à trahir dans l'énervement et le gâchis les promesses de mon passé, Napolitain vaincu, accablé de taxes secrètes, rêvant de richesses américaines, incapable de rompre sa propre "jettatura" (nouvelle de Théophile Gautier dont j'avais entamé autrefois une adaptation théâtrale)? Peut-être la ville m'a-t-elle simplement tendu un miroir? Et dans ce somptueux miroir noirci, moucheté, au cadre artistement travaillé, j'ai vu... une image que je n'ai pas pu soutenir.


mardi 2 septembre 2014

Analyses de quelques nuages

A deux reprises cet été: 

- d'abord sur la route une immense falaise de nuages roses et beiges, brisée par la présence d'une rivière sans doute - je voulais m'arrêter pour prendre une photo qui aurait dignement orné ces brèves... mais, craignant le retard et surtout le ridicule, j'ai poursuivi mon chemin; 

- puis, ce long après midi que j'ai passé allongé sur le dos, flottant parmi des îles éparses au tracé incertain, visions de péninsules, de havres, de collisions majestueuses - ai-je été heureux? je gardais en tête mes soucis et mes questions ("publication", paternité, avenir professionnel, destinée amoureuse et, en arrière-plan de tout cela, l'atroce situation du monde), sans doute, mais finalement le passé "passe" mieux que le présent, et je n'ai plus que le souvenir d'une grande quiétude.

*
Je me souviens aussi de cette soirée en juillet sur la terrasse de Puck, où un long nuage plat dans le couchant dessinait un deuxième horizon, comme si la ville se fut soudain trouvée au bord de la mer, et que la succession des toits et des tours descendait lentement vers une mer calme, traversée d'avions devenus bateaux aux lointains sillages - j'ai été si reconnaissant à mon ami d'avoir partagé cette impression, de l'avoir encouragée  par son enthousiasme - même si les photos n'ont rien rendu: comme sur les images d'Escher, on ne peut hélas voir l'une et l'autre réalités en même temps.

vendredi 29 août 2014

Sur le Rouge et le Noir (2)

Le livre a toutefois de la valeur comme "Chronique du XIX siècle": la pseudo-chronique de société n'est guère instructive -  les Illusions perdues lui sont en cela bien supérieures -, mais il y a d'autres aspects intéressants dévoilés sans doute involontairement par Stendhal.

Une première découverte est de constater à quel point, pour Julien Sorel, l’Église n'est rien d'autre qu'un instrument d'ascension sociale. Il n'y a absolument pas de place pour la foi, pour la moindre réflexion religieuse dans la récit. C'est préoccupant pour quelqu'un qui se destine à la prêtrise et au séminaire de Besançon. L’évêque ne plaît à Julien Sorel que pour son habit et ses belles manières. On est dans un monde sans Dieu, 1830.
Ce fait semble pour Stendhal et pour ses héros parfaitement naturel, ne provoque aucune réaction de conscience, même implicite (sauf chez le vieil abbé, et encore, il lui faut du temps pour comprendre). Cinquante ans plus tard, le récit aurait été différent: un jeune homme aurait eu quelques doutes d'assurer sa prospérité en intégrant le clergé; il s'y serait aventuré par conviction (et ne parlons pas d'aujourd'hui!).
Cela me rappelle une remarque frappante des Promenades dans Rome, qui contraste tellement avec le spectacle qu'offrent aujourd'hui les "messes monstres" du Vatican: "Saint-Pierre a cinq portes; l'une d'elles est murée et ne s'ouvre que tous les vingt-cinq ans, pour la cérémonie du jubilé, Le jubilé, qui une fois réunit à Rome quatre cent mille pèlerins de toutes les classes, n'a rassemblé que quatre cents mendiants en 1825. Il faut se presser de voir les cérémonies d'une religion qui va se modifier ou s'éteindre."

Un autre détail est le niveau de culture de Julien Sorel. Il se considère supérieur à ses contemporains, mais qu'a-t-il lu, au fait? Le Mémorial de Sainte-Hélène, qui finit à la rivière dès le début du roman, et sinon? Quasiment rien! Quand il arrive au séminaire, on se rend compte qu'il ne connaît que la bible et quelques pages d'auteurs latins... Rien des Lumières du siècle précédent, ni Chateaubriand, ni les brillants auteurs de 1830 (quelle extraordinaire époque, pourtant!). Cela paraît presque incroyable... Il est pauvre et n'a pas les moyens d'acheter des livres, cela se comprend (c'est encore le cas aujourd'hui), mais il devait bien y avoir quelques journaux, quelques livres égarés? Apparemment, non.
Le roman populaire n'avait pas encore pris son essor, ni la presse de feuilleton. La "bataille d'Hernani", dont l'écho retentit encore aujourd'hui sans que plus personne ne joue la pièce, n'a pas franchi les pages du roman. C'était pourtant cette année-là! La province franc-comtoise est plongée dans d'étranges ténèbres*... On peine à imaginer, sauf à lire Stendhal entre les lignes, les difficultés que devaient connaître les jeunes gens de province à acquérir quelque savoir un peu contemporain. Quarante ans plus tard, Rimbaud cite trente poètes dans sa "lettre du voyant". Puis nous avons eu l'édition à bas prix, les "bibliothèques pour tous", l'âge d'or d'une lecture offerte à tous, les tablettes qui donnent accès à tous les livres en tout moment.

*

Comparaison n'est pas raison, mais je me souviens des difficultés que nous avions pour accéder à la musique, à l'époque pas si lointaine d'avant Internet. Nous ne pouvions pas acheter tous les disques, il fallait emprunter, copier sur des cassettes bien numérotées, attendre que la radio diffuse les "hits" et déclencher l'enregistrement au bon moment (ce qui nous valait nombre de morceaux tronqués), écouter la même chanson jusqu'à ce que la piste s'abîme. Je connais aujourd'hui bien mieux la production des années quatre-vint et quatre-vingt-dix que je n'aurais pu la connaître alors... Nos enfants nous prendrons pour des hommes de Cro-magnon.


(*: Tout cela rend le roman assez douteux, mais j'ai déjà suffisamment critiqué. Rien ne marche! Comment Julien Sorel peut-il réussir à Paris avec les trois clous qu'il a dans la tête, plaire à la famille de La Mole. Quant à la "chronique de 1830", c'en est une à la façon dont Fabrice del Dongo a vu Waterloo: il traverse le champ de bataille sans rien voir, sans distinguer grand-chose, en courant dans tous les sens.)

Parmi les lacunes

Parmi les "lacunes énormes"*, je comptais retenter la lecture de Belle du Seigneur - livre que l'on trouve dans toute honnête étagère, y compris dans celles des Della Rovere, et qui m'avait été recommandé par Irène Adler à l'époque très lointaine de notre relation. J'avais dû m'arrêter au tiers environ, je crois, j'avais trouvé cela horripilant et ennuyeux - roman de "bonne femme" comme Irène Adler sans doute, mais pire encore: je ne comprends même pas comment une femme peut apprécier, par exemple, cette insupportable scène de séduction et croire que l'on puisse tomber amoureux d'un vieillard édenté en succombant à l'illusion des mots? Que la première femme venue céderait devant la plus grosse "assurance"? Bref, j'ai jugé que je n'étais pas le bon public...
Mais en le lisant avec un regard neuf?

lundi 11 août 2014

Sur le Rouge et le Noir (1)

Comblant enfin une lacune énorme de ma jeunesse, j'ai mis à profit quelques jours de vacances pour lire Le Rouge et Le Noir. A la décharge de l'adolescent d'autrefois, j'en avais tenté la lecture à plusieurs reprises mais le livre m'était tombé des mains. Ce qu'en écrit Julien Gracq* m'avait convaincu de reprendre le livre...

... et maintenant que je l'ai lu, je me rends compte que mes goûts n'ont peut-être pas autant changé que je l'imagine: je n'ai pas aimé, je ne comprends même pas pourquoi on fait un tel cas de cette œuvre!
Tout me semble sonner creux: par exemple, Stendhal cherche à nous faire croire que Julien Sorel est un ambitieux (mais l'est-il vraiment? s'en donne-t-il jamais les moyens?) ou un amoureux (mais l'est-il vraiment? parfois, il se comporte en calculateur froid (sur le mode "fuis-moi je te suis"), l'instant d'après il "fond en larmes": c'est grotesque). A la limite toutefois, cette inconstance pourrait passer pour un certain réalisme. Rares en effet sont les amoureux ou les ambitieux à toute heure... Mais comment un être aussi inconstant pourrait avoir assez de fermeté pour tuer Mme de Rênal, pour ne pas changer d'avis cinq fois en chemin? Tout cela ne fonctionne pas. Les "rebondissements" de l'intrigue m'ont vite lassé; à partir de l'arrivée de Julien Sorel à Paris, le livre a perdu tout intérêt pour moi.

*

Une exception toutefois: la merveilleuse ellipse de la fin du livre (aveu d'impuissance de l'auteur?), qui laisse le lecteur libre d'imaginer la mort de Julien Sorel, et qui correspond bien à ce qu'ont dû ressentir les deux femmes, à ce que nous ressentons tous face à la mort: l'instant d'avant il nous parle encore et l'instant d'après il a disparu.

"— Qui sait ? peut-être avons-nous encore des sensations après notre mort, disait-il un jour à Fouqué. J’aimerais assez à reposer, puisque reposer est le mot, dans cette petite grotte de la grande montagne qui domine Verrières. (...) Eh bien ! ces bons congréganistes de Besançon font argent de tout ; si tu sais t’y prendre, ils te vendront ma dépouille mortelle…
........................................................................
Fouqué réussit dans cette triste négociation. Il passait la nuit seul dans sa chambre, auprès du corps de son ami, lorsqu’à sa grande surprise, il vit entrer Mathilde"

Si seulement il y avait eu plus d'ellipses similaires!

mardi 22 juillet 2014

En route

Sous le soleil d'ouest, les traits de goudron formaient une calligraphie étrange, du vieil argent sur un fond noir, c'était comme rouler sur l'étoffe des martyrs, sur la lame d'un cimeterre.

lundi 21 juillet 2014

Le rêve sur l'autoroute

Café sur une aire d'autoroute, dans la lumière poussiéreuse du matin, les camions enfin autorisés à rouler se succèdent en files monotones - et j'ai rangé le café vite bu, le restaurant en bord de route, la route, parmi les sensations agréables de ma vie, l'impression de participer aux vastes mouvements de caravanes sur les pistes, chargées de richesses lointaines, à la glorieuse circulation des marchandises et des hommes, au battement du monde.

mardi 15 juillet 2014

Eyes wide shut

Dîner entre amis, lors d'une nuit de mi-été: sous une pluie légère, le macadam exhalait cette haleine de rue mouillée qu'apprécient tous les urbains dégénérés comme moi, de même qu'ils apprécient la rumeur de la ville et le bruit rassurant des voitures quand ils rêvent, sagement allongés dans leurs lits.
La moitié du repas avait été consacrée au sujet qui m'est cher, et sur lequel pourtant je ne trouvais rien à dire. Ce n'était pas de peur de trop parler: je me suis simplement rendu compte que je n'avais jamais cherché, dans toute ma jeunesse, à comprendre ce qui m'était arrivé, à en évaluer les causes, à chercher d'autres exemples ailleurs. Me plaindre et m'évader, oui! j'ai su faire et j'ai fait continuellement. Mais me poser, réfléchir calmement, et agir sur cette base, j'en ai été incapable; je me suis lancé dans la vie les yeux fermés. Je me suis adapté aux circonstances sans chercher à vraiment peser sur elles (ou si rarement!) - comme un arbre* se contorsionnerait pour trouver la lumière plutôt que de forcer directement son passage à travers les murs d'une maison en ruine.

mercredi 9 juillet 2014

Accusé de réception

J'étais pris d'incertitudes*; j'écrivais dans le cahier à la belle reliure de cuir florentin: "On dira ce que l'on voudra. mais je suis surtout furieux! Furieux que personne ne me réponde, d'observer le miroir et de ne même pas y voir le moindre reflet, même un fantôme éphémère... Je ne peux pas liquider si facilement les sept années du "jeune professionnel", et la leçon principale que j'y ai apprise: que je ne peux pas me passer des autres (tout le monde à part moi s'en est déjà rendu compte à vingt ans, mais au moins est-ce désormais une expérience personnelle irréfutable), que j'ai besoin d'une personne à mes côtés pour vivre, et que j'ai besoin de leurs regards pour m'améliorer*, sans craindre de perdre mon essence dans ce dévoilement! Je ne me suis pas compromis autant qu'on pourrait le croire. J'ai cherché à réaliser mes rêves. Je ne vais pas renoncer!".

Je relis ces mots avec plus de sérénité maintenant. Je sais ce que je veux. Et je n'ai pas renoncé à ce qui m'est essentiel*.

vendredi 20 juin 2014

Sacré cœur

Au rond-point, des japonais perdus observaient désespérément leur plan, en montrant une direction que je ne leur aurais pas recommandée... "Mais les touristes ne sont pas tristes / ils te font des sourires gentils / un peu gênés mais très polis" 
Reprenant mon vélo, la chanson de Mano Solo m'est restée en tête (combien de fois ai-je pu l'écouter sans que l'émotion n'en disparaisse?), et je me suis souvenu du quartier où Della Rovere m'a emmené le mois dernier, merveilleux endroit qui m'a, contre toute attente, subitement réconcilié avec Paris et la vie parisienne.

mercredi 18 juin 2014

Voyage en Italie

Dernière page du Rome, Naples et Florence, 1826*, de Stendhal, que je feuilletais rapidement en vue d'un prochain séjour avec Della Rovere.
"La vieillesse morale est reculée pour moi de dix ans. J’ai senti la possibilité d’un nouveau bonheur. Tous les ressorts de mon âme ont été nourris et fortifiés ; je me sens rajeuni. Les gens secs ne peuvent plus rien sur moi : je connais la terre où l’on respire cet air céleste dont ils nient l’existence ; je suis de fer pour eux."
Nous jugerons sur place.

Histoire de ma sexualité

Je me trouvais en terrasse après avoir regardé la coupe du monde*, et, ignorant les conversations de mes voisins proches, j'observais les populations attablées qui sirotaient leur bière en discutant joyeusement (la Belgique venait de remporter son premier match). Je me mettais à regretter de ne pas pouvoir entendre chacune des conversations, qui semblaient avoir dévié de considérations sportives pour aborder des sujets intimes. Comme j'aimerais savoir ce que les autres ressentent! Sortir de mon unique expérience forcément limitée...

C'est la qualité que je trouve à l'Histoire de ma sexualité d'Arthur Dreyfus*. Un titre pareil est assez présomptueux pour quelqu'un de cet âge (mais n'avais-je pas le même ordre de projets quand, plus jeune encore, j'écrivais la Vie amoureuse de Sherlock Holmes*?!). L'auteur s'en excuse vite et fait intervenir des amis aux noms étranges (Persan, Jean d'Oubli, Bord Cadre, etc.), signifiant ainsi que s'il parlera de sa sexualité, dans son enfance, il évoquera aussi celle des autres; c'est une sorte de micro-trottoir aléatoire - exactement ce que j'aurais voulu faire à la terrasse du café. 
Lecture assez rébarbative, mais il y a des éléments de grand intérêt! 

Au hasard, et sans commentaire:
  • "Tu sembles dur comme le fer, mais flexible comme le fil de fer."
  • "J'ai tout de même réalisé un court-métrage inspiré d'un plan cul. On m'a proposé de l'éditer dans le coffret de mes documentaires. j'ai dit non, parce que ma mère allait recevoir le coffret - et que le public de ce film, c'était le monde entier sauf ma mère."
  • "Le genre de garçon à s'essuyer approximativement les fesses pour ne pas trop y toucher."
  • "Peinant à uriner à côté d'un inconnu (laquelle aptitude constitue sans doute l'un des commandements de la masculinité), etc."
  • "Le mystère masculin, c'était une tour aux murs froids à l'intérieur desquels j'imaginais des coffres. C'étaient des coffres fermés que personne n'avait jamais pensé à ouvrir. Des coffres à l'intérieur desquels se seraient trouvées des émotions en miniature, des contradictions non lues, des rêves jamais pensés." [citation de Mathieu Simonet]

mercredi 11 juin 2014

La prise de Mossoul

Tandis que la France se préoccupe de grèves déjà vues et que le monde se distrait au Brésil, l'annonce de la prise de Mossoul par les islamistes, les images de peuples en exode, m'ont donné une impression de fin du monde - le début du désastre pour le Moyen-orient.
On me dira que d'autres cités prestigieuses, Alep notamment, connaissent depuis longtemps le même sort... Mais je ne pense pas la comparaison valable. D'où me vient ce pressentiment qu'une étape irrémédiable est franchie? L'absence d'une armée forte en face, la possible intervention (à découvert) des pays voisins... Je ne vois pas comment les choses pourront jamais s'arranger.

*

PS: est-ce une réminiscence de vieilles lectures? "Relâche les quatre anges enchaînés sur le grand fleuve Euphrate. Et l'on relâcha les quatre anges qui se tenaient prêts pour l'heure et le jour et le mois et l'année, afin d'exterminer le tiers des hommes." (Ap 9 14-15)

mardi 10 juin 2014

Sur le titre de Piketty

Ai lu, comme tout le monde, le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty* (j'ai trouvé le temps*... parfaite illustration de l'adage personnel "plus on en fait, plus on en fait"). Le titre est assez trompeur, car finalement ce livre est davantage sur le capital aux XIXe et XXe siècle que sur les années à venir, si l'on excepte les quelques maigres chapitres de la dernière partie.

Mais si l'on prend le livre pour ce qu'il est, c'est-à-dire une étude bien documentée du passé et du présent, il s'agit d'une lecture captivante et instructive, éclairante à bien des égards sur nos situations personnelles (comme il est fascinant de constater que les trajectoires que nous croyons originales se retrouvent généralement très bien dans les statistiques): par exemple, le chapitre sur l'héritage et les mentalités mouvantes sur ces questions, que je retrouve exactement dans la différence d'attitude des Della Rovere et des miens... Piketty excelle également à dégonfler un nombre de mythes douteux (la croyance que la bulle immobilière est liée aux capitaux étrangers, entre autres).
Merveilleuses exégèses de  Jane Austen et surtout de Balzac, qui montre que cet auteur est sans doute
le plus grand de son époque (qui n'en manquait pas!). En passant, remarque intéressante sur le fait que, durant tout le XIXe siècle, les écrivains évoquaient sans pudeur les questions d'argent ("huit mille livres de rente", etc.), tandis que les chiffres et la monnaie ont quasiment disparu de notre littérature: Piketty attribue ce fait non pas à la bienséance, mais à l'inflation: une référence à un prix paraîtrait vite très ringarde, et serait incompréhensible pour les lecteurs dix ans plus tard. C'est aussi, sans doute, que nos écrivains n'ont pas fait beaucoup de mathématiques ou de finances et préfèrent ne pas s'y salir les mains.

Quant aux aspects prospectifs... on ne peut s'empêcher de penser en refermant le livre, tant son auteur est convaincant, qu'il serait préférable que le monde devienne plus "pikettien", dans la répartition des richesses, une façon plus juste de vivre ensemble, etc. Mais l'univers pikettien me semble par trop utopique - ou suis-je moi aussi désormais trop cynique, hélas?
Ainsi, le livre ne fait qu'effleurer la question du chômage qui est pourtant le principal problème des sociétés occidentales (du moins dans le discours politique; dans la pratique politique, c'est moins sûr). Est-ce à dire qu'il considère que le chômage est un faux problème, que nous pouvons assurer notre prospérité malgré le nombre important de chômeurs? Piketty semble s'en remettre à la vieille recette usuelle qui consiste à dire que le chômage sera résorbé par une augmentation des dépenses d'éducation (ce qui me semble extrêmement douteux, car tous les métiers ne requièrent pas un niveau d'études considérable). On me dira que, au moins sur cet aspect, le titre n'est pas mensonger puisque l'auteur veut décrire le "capital" et non le travail - mais peut-on décemment scinder les deux notions "au XXIe siècle"?

lundi 9 juin 2014

Projets...

Longue inactivité dans ces brèves... Mais c'était prévisible, tant je me suis trouvé emporté dans un tourbillon d'activités connexes et de sentiments variés qui m'ont empêché toute prise de décision avisée et tout rêve sérieux. Pourtant, ce ne furent pas des jours inutiles!
Il me faut mettre en œuvre ce que j'ai dit, ce que je me suis promis de faire. Pour ces brèves, je ne pense pas à un bouleversement fondamental. Mais je pourrais par exemple rédiger cet abécédaire que j'ai plusieurs fois annoncé à mes amis, et qui me servait de prétexte pour cacher à Della Rovere la rédaction du GRMF. Il s'agirait d'un document public pour mon entourage, sur lequel les commentaires seraient bienvenus, qui pourrait prendre ces brèves comme matière première, mais irait aussi au delà, plus dans la vie réelle peut-être.

vendredi 9 mai 2014

What's on your mind?

La question que Facebook me demande... J'aurais un peu de mal à répondre. La fin de cette période de 7 ans que j'ai appelée "le jeune professionnel" me laisse assez désemparé. J'aimerais savoir mieux faire face aux incertitudes de la vie, prendre des décisions en homme sage... Tout s'apparente à des coups de dés irréfléchis. Je me réjouis de changements que j'ai désirés profondément, certes, mais dont je ne parviens pas à mesurer les conséquences.
Entre autres situations qui me laissent interdit: je m'attendais certes à ce que le GRMF ne provoque pas l'enthousiasme; mais j'espérais peut-être au moins une réponse à une très ancienne question, des commentaires. J'ai passé sept ans sur ce projet, plus que l'horizon de ces brèves... Ai-je perdu mon temps, comme je l'ai perdu ailleurs?
J'ai l'impression pourtant d'en avoir appris plus, ces derniers mois, sur tous les plans, professionnels, littéraires, amoureux. Je comprends qu'il me faut désormais assumer pleinement mes décisions: je ne peux plus m'abriter derrière l'inexpérience du "jeune professionnel" et croire candidement que l'avenir est totalement ouvert. Je construis mon avenir, et il y a certains fantasmes qui n'y ont plus leur place. "Être adulte, c'est négocier avec ses rêves", ai-je entendu récemment à la radio - pourvu que cette négociation ne se transforme pas en renonciation, pourvu que des clauses secrètes, des codicilles en bas-de-page, me laissent encore la possibilité de croire en moi!

dimanche 27 avril 2014

Contre Bonaparte

Petit succès de librairie (?) pour le livre de Lionel Jospin contre le mythe de Napoléon... Je comprends bien ce que Lionel Jospin peut reprocher à la figure du leader charismatique (à raison), et j'imagine que c'est pour lui l'occasion de peindre en creux un autoportrait flatteur, mais je ne vois pas l'intérêt de ce livre - tant René Grousset me semble avoir définitivement balayé le sujet. Il faut lire la section "L'heure de la France" dans Figures de proue. Cela suffit pour "remettre les idées en place".

mardi 15 avril 2014

C'est une loi de la nature...

Un homme découvre aux heures tardives ce reportage animalier dans lequel un cerf adulte, après un terrible combat dont l'écho a fait frémir la forêt, s'est vu contraint de se replier, d'observer depuis les buissons passer les hardes, passer sa chance de jamais se reproduire, au profit de rivaux plus solides, plus justifiés selon les lois de la nature. Spectacle désolant de cet être qui a failli à l'unique finalité pour laquelle il était né, soumis au cruel spectacle de son échec, errant dans des paysages infertiles, des toundras gelées où s'épanouiront en vain les lichens et les narcisses éphémères.

samedi 12 avril 2014

Musée archéologique national, Athènes

Angoissantes statues récupérées dans l'épave d'Anticythère*, qui gisaient sur le côté, et dont la moitié couverte par le sable est impeccablement conservée, tandis que que l'autre a été corrodée par l'eau salée et les créatures marines.
Me reviennent en mémoire le portrait de Dorian Gray, la phrase de Pessoa*... Ces statues à demi lépreuses sont finalement plus réalistes que toutes les merveilles de l'art classique - notre part publique, à peine reconnaissable, dévorée par les mollusques et les coraux, et notre part intime, enfouie sous les sédiments de la vie, intacte, telle que rêvée dans la perfection des premiers jours!




*: voici la phrase dont je me souvenais (et que j'ai utilisées autrefois dans de nombreuses dissertations...): "tout homme a deux vies: la vraie, celle que nous avons rêvé dans notre enfance, et la fausse, celle que nous vivons dans le commerce des autres". En effectuant quelques recherches*, je me rends compte que je l'avais considérablement tronquée: "Nous avons tous deux vies: la vraie, celle que nous avons rêvée dans notre enfance, et que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de brouillard; la fausse, celle que nous vivons dans nos rapports avec les autres, qui est la pratique, l'utile, celle où l'on finit par nous mettre au cercueil."