jeudi 20 décembre 2012

Calendrier maya (2)

Cette fascination pour la fin du monde - un des sujets les plus lus et commentés sur les sites d'information (en concurrence avec l'inepte polémique sur l'exil fiscal de Gérard Depardieu) - m'a prêté à sourire autrefois. Il doit pourtant y avoir quelquechose de plus profond derrière l'humour et les fausses peurs! Un appétit pour la destruction, peut-être, et le désir secret que notre monde s'écroule, que tout cela finisse.
Nous ne souhaiterions plus l'ordre et le progrès (y avons-nous jamais cru?), nous voulons perturber la surface trop lisse de nos vies individuelles et collective, attendant impatiemment la "fin des temps": au bout du compte, n'a-t-elle pas toujours été synonyme de libération?

lundi 17 décembre 2012

Doch tönt es fort und immer fort

Le "Lippen schweigen" de la Veuve Joyeuse, que j'ai eu en tête ces derniers temps (par exemple dans cette version au piano assez basique, où l'on se croirait dans le "vieux rêve de l'aube"*), je me souviens que c'est la Buzarde (une triple buse qui n'est pas restée longtemps dans mon aire) qui me l'avait fait découvrir. C'était à une époque très reculée, pleine de découvertes musicales à défaut d'autres expériences - des mois que je revois parfois avec un peu de nostalgie ("au ciel flottent deux trois nuages..."*).
Mais ces souvenirs ont été effacés par les suivants, et je ne peux m'empêcher d'associer désormais cet air à une soirée magique passée avec Della Rovere au Budapesti Operettszínház, il y a quelques hivers (un spectacle sans doute d'autant plus exceptionnel que je n'en attendais rien, et que nous y étions allés par dépit, l'Opéra d’État ayant été réquisitionné pour un équivalent local des "7 d'or").

Splendeur et catastrophe

Lecture très instructive et proprement captivante de Levant de Philip Mansel sur les trois cités de Smyrne, Alexandrie et Beyrouth (un livre dont l'existence m'avait été signalée par la Validée): très bien documenté, s'appuyant sur des détails étonnants et des chiffres, et surtout allant au-delà des fins évidentes pour poursuivre jusqu'au présent.
L'auteur ne prend pas parti sur l'inéluctabilité ou non de la "catastrophe"; il est conscient toutefois des causes extérieures du déclin, de ses aspects politiques comme économiques; et s'il souligne à juste titre la nostalgie que peut provoquer la "splendeur" de ces villes, il rappelle en toute occasion leur caractère inflammable, soumises à la bêtise des passions humaines ("Zeal trumped self-preservation").
Il faudrait pouvoir y revenir en détail, en citer des passages entiers.

Mais en refermant ce livre, je me suis pris à penser que le vrai "Levant" que je cherche n'est peut-être pas sur les rives de la Méditerranée orientale, que ces villes n'ont plus l'attrait que je leur prête à distance (sauf peut-être Beyrouth, son appétit de vivre, "destination grave, désespérante"*). Les richesses de l'Orient (coton, figues, raisins, tapis) n'ont plus aucune valeur, et leur mode de vie n'a plus rien d'attrayant (que l'on songe à la description effrayante mais sans doute réaliste des mœurs pudibondes dans l'Alexandrie contemporaine... quel contraste!). Peut-être que l'esprit "levantin" s'est réfugié sur les rives d'une autre mer orientale tout autant disputée, portes de puissants empires, refuges de la diversité, de la splendeur, entre Hong-Kong, Singapour et Shanghai... On pourrait sans doute poursuivre la comparaison pendant longtemps. Mais surtout, il me tarde d'aller juger tout cela sur place, d'autant plus que nombre de connaissances s'y sont établies*.

vendredi 7 décembre 2012

Amer savoir

J'avais si puissamment le goût du voyage, au point d'espérer trouver un métier qui exigerait de nombreuses missions à l'étranger, à l'autre bout de la terre, me permettant de régulières découvertes... Un doute me prend soudain: s'agit-il, comme sur bien d'autres aspects, d'une époque clôturée pour moi? Était-ce vraiment ce que je désirais, en fin de compte?
Toutes mes anciennes excitations me lassent; je hais les aéroports, les files d'attente, l'attente; je hais les allers, bien plus même que les retours.

jeudi 6 décembre 2012

D'une ville à l'autre

Un ami de retour de Hong-Kong m'a raconté avoir assisté à des courses dans un immense hippodrome, au milieu des gratte-ciels, où toute la ville se retrouve le soir, pour jouer, boire, discuter...
Tandis qu'il me parlait de sa récente expérience a surgi en moi l'image du fameux hippodrome de Constantinople, dominant la mer et les palais impériaux, signe annonciateur des joies de la civilisation urbaine.

mardi 4 décembre 2012

Stock option

Je songeais également au champ du désirable et du possible, durant cette soirée où avait reparu la Validée (eussé-je au moins pu la valider!). Je l'ai certes toujours considérée comme une option envisageable, enviable, au cas où auraient périclité mes affaires avec Della Rovere. Y ai-je pensé sérieusement, ou était-ce une fiction de plus, comme ces rêves levantins trop légèrement caressés? Un peu lâchement, je me sens soulagé qu'elle quitte ma ligne d'horizon, retournant dans son pays (pour le sauver).

De toute façon, à ma constante surprise, les affaires susmentionnées font preuve d'une étonnante stabilité (malgré mes incessantes contradictions), semblent presque florissantes, bientôt fructueuses, peut-être - situation dont tout le mérite lui revient, bien sûr. Ou, pour continuer sur la rhétorique bancaire et filer la métaphore au-delà du nécessaire, on pourrait voir notre relation comme la rencontre d'un compte d'épargne et d'un "actif pourri", "subprime" incapable d'honorer ses engagements, et auquel personne n'aurait jamais dû accorder crédit. 
Pourvu qu'en sortent pour elle des profits supérieurs, qu'elle s'en trouve enrichie et non dépréciée, que je n'engloutisse pas ses meilleures valeurs dans mes spéculations peu prudentes, dans ma pyramide de Ponzi!

samedi 1 décembre 2012

Wanderung

En allemand, cette profonde distinction entre le "sollen" (obligation extérieure) et le "müssen" (obligation personnelle), si difficile à maîtriser pour tout étudiant français. Pourtant, si je me permets une phrase emphatique de plus, "toute notre philosophie est là", tout notre cheminement intellectuel, dans la grande migration du "müssen" vers le "sollen", quand nous comprenons progressivement que nos actions, nos envies, nos valeurs, sont davantage dictées par le monde extérieur que par nos propres décisions impuissantes, quand nous apprenons à désapprendre...
Parfois cependant, d'autres éléments migrent dans la direction opposée, passent d'une obligation que nous croyions imposée par le monde extérieur à un choix éminemment personnel, incompréhensible et scandaleux pour tout autre que nous (une vocations religieuse, par exemple).

vendredi 30 novembre 2012

Un homme...

Un homme* relit les poèmes de sa jeunesse, cherchant tard dans la nuit à comprendre celui qui les avait écrits. Jamais, se dit-il, n'aurait-il pu imaginer les développements de sa vie ultérieure - tant il se voyait mort à brève échéance, l'espérait même explicitement.
Et plus tard, se souvient-il, après quelques absurdes échecs, il s'était résolu à ne jamais devenir un "bon père de famille", à ne pas suivre le droit chemin... Fruit mûr, il attendait simplement qu'on le cueillît, ou qu'il tombât de lui-même, mal retenu par d'anciennes branches. Alors le hasard a de nouveau bouleversé les choses. Quelle destinée tortueuse! Et s'il n'a "jamais été une victime"*, certes, a-t-il été pour autant un décideur avisé?

Tandis que tournent les aiguilles, il commence à entrevoir que la question est infiniment plus simple qu'il ne l'avait crue. Car il comprend qu'il ne s'est jamais lancé dans une quête active du bonheur, qu'il a toujours cherché, finalement, à minimiser les problèmes - et qu'à cette aune-là, on peut considérer sa vie comme une réussite, un chef d’œuvre dans son genre!
Cette pensée libératrice le plonge dans la félicité, le fait presque pleurer (de joie?), presque sourire (d'ironie sur lui même?); il s'endort dans un semblant de tranquillité, conscient pourtant que s'agitent derrière lui des mains étrangères, qui règleront son sort à sa place, comme autrefois, et qui à leur guise mettront un terme à sa trop prudente conduite.

jeudi 29 novembre 2012

La Mort de Sigurd

Moment de poilade à la lecture de certains Poèmes Barbares de Leconte de Lisle*, par exemple la grotesque Mort de Sigurd* (quel titre, déjà! on croirait un épisode de Xena la guerrière...). Les lycéens qui grognent contre Philippe Jaccottet ne savent pas à quoi ils ont échappé - quoique ces poèmes soient exactement ceux que le lycée aime décortiquer, en analysant les rythmes, les sonorités, etc.

"La Burgonde saisit sous sa robe une lame,
Écarte avec fureur les trois femmes sans voix,
Et, dans son large sein se la plongeant dix fois,
[!]
En travers, sur le Frank, tombe roide, et rend l'âme."



Puis, au milieu de ce feuilletage somme toute assez soporifique, le Rêve du Jaguar*, que j'avais déjà lu dans une anthologie, et qui est la raison (maintenant, je m'en souviens!) pour laquelle j'avais acheté le livre.

"En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D'un large coup de langue il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants."



dimanche 25 novembre 2012

L'iphonographe

Cette image et d'autres sur ce lien
Je m'amuse de constater qu'entre autres nombreux homonymes il existe un Paul Toussaint new-yorkais, un "iphonographe" (!). J'ignore en quoi consiste cette nouvelle discipline, j'imagine qu'il se promène téléphone en main et trafique ensuite les photos avec quelque application gratuite... Le résultat est assez convaincant, paysages industriels comme je les goûte, gratte-ciels, vues étranges de toilettes ouvertes, gros corps nus sur une plage, et une belle série sur Grand Central... à tel point que l'on regrette que ce ne soit que pour des iphones. Envisage-t-il de vendre ses créations? En tout cas, il n'a pas l'air d'y avoir beaucoup plus de monde sur son site que sur ceux de Paul Toussaint poète...

samedi 24 novembre 2012

Une large rue bordée de palais (2)

La description de Gênes par Paul Morand* ressemble peu à l'impression que j'en ai eue.
"Les palais de ses aventuriers, vastes comme des demeures royales, développent leurs façades sur son port, s'alignent superbement aux bords de la rue Garibaldi sans trottoirs, où la circulation est un anachronisme bruyant et périlleux [cela a heureusement changé]. Les escaliers d'honneur forment des forêts de colonnes qui ont pour fauves des lions joueurs de boule [quelle surprenante image! et il est vrai que ces animaux m’avaient paru trop puissants, trop royaux, pour ce qui n'était, somme toute, que quelques familles marchandes - cela me rappelait ces nombreux pavillons de banlieues qui arborent des statues en plâtre sur leur portail, aux motifs de lions, de Vénus de Milo, là où un nain de jardin aurait été plus approprié et plus esthétique]."
Et la suite surtout forme un contraste avec ce que j'ai vu, mais il est vrai qu'il a visité une Italie encore jeune, non pas un pays vieilli et courbé sur son passé (j'essaie avec cette expression de traduire "backward-looking"). Un ami italien m'indique que la Ligurie est la région comptant le plus de retraités, loin de cette vitalité qui avait frappé Paul Morand: "Vers le soir, la vie citadine génoise reflue vers la place Deferrari envahie par les trams et les piétons, toute sonore de sifflets, de grincements, de klaxons et d’appels. Le monde élégant s'y retrouve et déguste des glaces. A la même heure, une autre vie s'éveille et s'anime sous les arcades du port [en fait d'arcades, il y a maintenant le pont sous l'autoroute]: marins de toute nation, rôdeurs de tous les quais, voyageurs à peine arrivés ou prêts à partir, commerçants de tous les petits commerces [rôle maintenant tenu, comme dans toute l'Italie, par ces malheureux clandestins africains dont on ne peut que saluer, avec un brin d'interrogation toutefois, la persévérance] vont et viennent, s'abordent, flânent devant  les étalages de victuailles, bousculés par les gamins qui se poursuivent, amusés çà et là par le grillage d'une fenêtre discrètement éclairée."

mercredi 21 novembre 2012

Portovenere (3)

Toujours en recherchant des informations sur Philippe Jaccottet (et allant de surprise en surprise!), j'apprends qu'il a été sélectionné au programme du bac français 2012 pour les séries L. J'ignore si c'est là un cadeau que lui a fait l’Éducation nationale, ni un cadeau pour les élèves, car il y a dans l’analyse sèche du lycée de quoi faire détester éternellement un auteur...
Bien sûr, cela permettra à quelques uns de s'approprier les splendeurs d'À la lumière d'hiver, ce poème par exemple:

Si je me couche contre la terre, entendrai-je
Les pleurs de celle qui est dessous,
Les pas qui traînent dans les froids couloirs
Ou qui trébuchent en fuyant dans les quartiers déserts ?

J'ai dans la tête des visions de rues la nuit,
De chambres, de visages emmêlés
Plus nombreux que les feuilles d'arbres en été
Et eux-mêmes remplis d'images, de pensées
- C'est comme un labyrinthe de miroirs
mal éclairé par des lampes falotes -,
Moi aussi dans les foires d'autrefois
J'ai pensé en trouver l'issue,
Moi aussi j'ai langui après des corps.
J'ai plein la tête de faux-jours, et des reflets
Dans les trappes d'un fleuve ténébreux,
Je me souviens de bouches inlassables sur ses bords-

Tout cela maintenant pour moi est sous la terre
Et mon oreille collée à l'herbe l'entend,
A travers le tonnerre de sa propre peur et les
Coups de scie des insectes, qui gémit -
Donnez-lui le nom que vous voudrez, mais elle est là,
C'est sûr, elle est dessous, obscure, et elle pleure.

Tous n'ont pas l'air de partager cet enthousiasme, si j'en crois des commentaires glanés sur les forums:
  • AeronevskyWTF: Comment on est dans la merde. On fait comment pour citer, ses putains de poèmes n'ont même pas de titres. [c'est vrai qu'il aurait pu se fouler un peu]
  • Opelq: Jaccottet ce qui énerve (ou désespère) c'est qu'il faut apprendre ENORMEMENT de citations pour appuyer nos arguments. En gros faut connaitre le recueil par cœur. En somme, nous sommes dans la merde. [un constat partagé par la plupart des membres du forum]
  • Lou_Lou_69: Coucou, Vous me faites stréssé [sic] les gens ! J'espère pas que ça tombera entre De Gaulle et Jaccottet, j'ai beau essayé [resic, bonjour la "littéraire"!], De Gaulle passe pas, trop de choses a retenir et Jaccottet, j'essaie toujours de comprendre mais ces poèmes n'ont toujours aucun sens... Bref dans la merde quoi... Je connais Gargantua et Tous les matins du monde par cœur... Alors je croise toujours les doigts!
  • Toujoursvert47 : Jaccottet j'ai franchement beaucoup de mal. J'aime bien, mais je sais pas, j'arrive pas à expliquer sa poésie, et j'arrive pas du tout à retenir des citations, l'horreur ! Enfin je sais pas mais Jaccottet et moi sa colle pas [sic]... A titre d'exemple, dernière interro type bac j'ai eu 8 alors que sur Rabelais j'ai eu 14. [Je ne comprends pas pourquoi ils ont tous l'air de préférer Gargantua, qui est tout de même infiniment plus compliqué et inextricable que Jaccottet]
Pauvre poète, j'espère qu'il ne passe pas ses journées sur Internet!...

dimanche 18 novembre 2012

Toutes choses inutiles, pittoresques tout au plus

Depuis quelques années les romans finissent souvent par me tomber des mains: est-ce une question d'âge, y a-t-il une "date de péremption" au delà de laquelle la fiction nous paraît vaine et inattractive, au delà de laquelle les aventures d'hommes et femmes nées du cerveau et des névroses d'un autre nous laissent froids - quand nous nous intéressons davantage à l'arrière-plan de l'histoire qu'à l'histoire elle-même (d'où l'inanité de la plupart des romans contemporains, centrés - à juste titre - sur une action qui nous est devenue indifférente)? Plus pernicieux encore, est-ce un trait de l'évolution masculine (puisque, si j'en crois les statistiques, l’essentiel des lecteurs de romans sont des femmes), connaissons-nous nous aussi une sorte de "ménopause littéraire", qui, passé un certain temps, nous convaincrait que toute lecture est devenue stérile, ne suscitant au mieux que quelques maigres plaisirs? Ou est-ce simplement de ma part une humeur passagère, loin de toute possible généralité?
J'y reviendrai, sans doute.

Cette longue introduction pour indiquer que, dernièrement, j'achète et lis de plus en plus de récits de voyage (Nerval, Chateaubriand, Henry James, Edith Warton, etc.), où je cherche les différences, les étonnants parallèles entre le monde d'alors et celui d'aujourd'hui, sans oublier aussi ce qui pouvait rendre les voyages d'autrefois exceptionnels (les accidents de parcours, les détails de la vie quotidienne, dont finalement ils ne s'émeuvent guère). Malheureusement, certains auteurs se bornent parfois aux description de sites antiques (qui intéressaient sans doute les lecteurs restés à Paris, mais qui, à l'heure de l'internet et de la photographie de masse, ne nous font rien découvrir de nouveau), et il faut chercher entre les lignes, au détour d'une remarque fortuite, les informations vraiment passionnantes.

Je feuillette par exemple l'intéressante compilation d'écrits de voyage de Paul Morand dans la collection Bouquins* - trouvée par hasard dans la bibliothèque paternelle. Il faut dire que mon père collectionne les livres de cet auteur un peu démodé, qu'il se vante d'avoir bien connu depuis une vague foire littéraire au cours de laquelle il l'avait assisté (on s'invente les proximités que l'on veut! - mais après tout cela vaut mieux que ma piteuse retraite devant Yves Bonnefoy).
Deux illustrations de l'intangibilité du monde:
- en visite au Mont Athos: "c'est le seul endroit du monde entier où je n'ai pas entendu parler de la crise" (j'imagine qu'il parle de la crise des années 30, mais j'ignore si cela se vérifie encore de nos jours, si les moines de l'Athos ne pensent pas à la crise dans leurs prières, suppliant le ciel de continuer à leur épargner les taxes foncières);
- à Louksor: "mieux vaut voir affaire à un seul drogman qu'à la nuée d'officieux, d’intermédiaires, de kavass, d'interprètes et d'entremetteurs qui se jettent - huitième plaie d’Égypte - sur le malheureux voyageur isolé" (expérience pénible et vécue par chacun, qui rend tout voyage en Afrique du Nord en fin de compte impossible - peut-être est-ce toutefois en train de changer).
Et pour le monde d'hier, il faut lire toutes les captivantes pages sur l'ancienne Bucarest qui "a conservé toute sa bonne humeur et n'a pas cessé de signifier: joie." (!)

Le livre commence par quelques phrases intrigantes sur sa vision urbaine du monde - une vision que je ne partage pas, ayant grandi dans l'univers informe du "péri-urbain", et aimant par-dessus les paysages ouverts, vastes villes traversées de larges fleuves ou en bord de mer (Istanbul les surpassant toutes), campagnes ou rizières travaillées depuis toujours, landes infinies - haïssant pour cette raison les forêts, les îles dont ont peut faire le tour en une journée, les petites villes mesquines, et, peut-être, l'enfermement dans une mer sans surprises...
"Enfant, je m'imaginais le monde peuplé de villes; ces villes n'étaient séparées que par des distances abstraites qu'on traversait la nuit; né citadin, je ne vois aujourd'hui encore dans les campagnes que des espaces vides que la nature, à court d'imagination, remplit comme elle peut avec des animaux, des fleuves, des bois, des graines, des paysans, toutes choses inutiles, pittoresques tout au plus."

vendredi 16 novembre 2012

Rêve de vie militaire

Rêve de vie militaire, surprise et peu vaillante, mais finalement ouverte. Comment ai-je pu y repenser, alors qu'elle n'a jamais fait partie du champ du possible, à peine du champ du désirable, à l'époque? Certes, je fréquentais alors beaucoup d'autres amis fascinés par l'armée, qui en adoptaient déjà la coiffure et l'habit (sans parler des mentalités), et j'imagine que certains d'entre eux ont fini par aussi y entrer. Mais tout cela n'a jamais été sérieux pour moi, et ce rêve est sans doute davantage lié à un reportage vite entrevu sur le retrait français d'Afghanistan. 
La scène se passait dans un appartement au rez-de-chaussée - pas le même que celui d'Alexandrie, plutôt à Paris je crois (¡alors que je n'ai jamais habité au rez-de-chaussée: cette répétition est étrange!): et elle était interrompue par ma mère et mon frère qui passaient leurs têtes par la fenêtre, pour venir "m'aider à déménager".

mardi 13 novembre 2012

Portovenere (2)

Cherchant un lien pour compléter mon post précédent, je découvre avec surprise que Philippe Jaccottet est encore en vie, tout comme Yves Bonnefoy... Quelle excellente nouvelle! C'est comme si l'on m'annonçait soudain que Rimbaud avait ressurgi du fin fond de l’Abyssinie.
Ma propre rencontre avec ces maîtres me semble appartenir à un passé si lointain! Dans le silence d'une chambre adolescente, ou dans l'ennuyeuse "permanence" du lycée, je me souviens que c'est Isabel Bremen qui m'avait fait découvrir Philippe Jaccottet, à l'époque préhistorique où nous nous écrivions encore des lettres, recopiions des poèmes sur nos feuilles à grands carreaux. Plus tard, ma (modeste) connaissance de Philippe Jaccottet avait fortement impressionné la princesse bulgare que j'avais presque ferrée (pour une fois que la poésie, au lieu de prétendument me sauver de la mort*, aurait réellement pu me servir à quelquechose!).
Un peu avant, j'avais eu la possibilité de participer à un "atelier poésie" où Yves Bonnefoy était censé intervenir (?), une sorte de coaching littéraire avant l'heure (c'est en pensant à ce genre d'anecdotes que comprends à quel point ma vie, loin d'être obscure et monotone, est avant tout une succession d'extraordinaires occasions manquées...). J'avais renoncé à l'atelier, l'idée m'en paraissant improbable, décalée, indécente. Comment aurais-je même osé soumettre à Yves Bonnefoy mes "pauvres poèmes de pierre grise", faire perdre un temps si précieux au grand écrivain? Tant qu'à faire, autant faire relire mes devoirs de physique-chimie par Stephen Hawking! Et de toute façon, on n'écrira jamais rien de valable en groupe*, même avec un grand poète plein de bonne volonté.

Trêve de vieux souvenirs et de digressions! Car de savoir ces auteurs encore parmi nous, respirant le même air que le nôtre, penchés sur leur œuvre éternelle au moment même où nous vaquons à nos activités stériles, me rend soudain le monde meilleur - considérablement, merveilleusement plus vivable!

lundi 12 novembre 2012

Portovenere

Promesse d'un panneau routier... et souvenir d'un poème qui m'avait considérablement marqué autrefois - sans doute la fusion de références animales presque mythologiques (cette chauve-souris prisonnière et pourtant libre), de phrases inouïes, hautaines ("la majesté de ces eaux trop fidèles / me laisse froid") et intimes ("hors l'écho, je ne parle à personne, à personne" - excellente phrase, déjà citée il y a longtemps, qui réconcilie enfin le sens et le son).
Parle-t-il vraiment de Portovenere? ou bien de l'impossible quoique toujours espéré "port de Vénus", un havre où nous pourrions vivre réconciliés avec nous-mêmes, dans une parfaite coordination* des sens et des désirs - celui vers lequel j'ai par hasard mis les voiles, sans m'en sentir forcément plus mal.

La mer est de nouveau obscure. Tu comprends,
C’est la dernière nuit. Mais qui vais-je appelant ?

Hors l’écho, je ne parle à personne, à personne.
Où s’écroulent les rocs, la mer est noire, et tonne
dans sa cloche de pluie. Une chauve-souris
cogne aux barreaux de l’air d’un vol comme surpris,

tous ces jours sont perdus, déchirés par ses ailes
noires, la majesté de ses eaux trop fidèles 
me laisse froid, puisque je ne parle toujours
ni à toi, ni à rien. Qu’ils sombrent, ces « beaux jours » ! 
Je pars, je continue à vieillir, peu m’importe,
sur qui s’en va la mer saura claquer la porte. 


(Philippe Jaccottet, L'Effraie et autres poésies, 1953*)

samedi 3 novembre 2012

Une large rue bordée de palais

Impressions mitigées de cette brève visite de Gênes - dont j'espérais pourtant un émerveillement original. J'avais imaginé une large rue bordée de palais (alors qu'elle est étroite), un beau front de mer (alors que c'est une autoroute encombrée et suintante), des rues anciennes descendant joyeusement vers le port, avec de beaux commerces (alors que les immeubles du vieux centre semblent dater d'une époque imprécise, qu'il n'y a que des vendeurs de matériel informatique, de kebabs ou pire de pizzas al taglio). La sensation aussi d'une ville qui a manifestement raté le train de la modernité*.

Ce qui m'a plu dans Gênes est justement ce à quoi je ne m'attendais pas, ces grands quartiers monumentaux du XIXe siècle, trop rapidement traversés - l'orgueil d'une cité qui a cru ses beaux jours revenus. Pour le reste, je suis vraiment surpris qu'il n'y ait pas plus de témoignages du passé prestigieux de la cité, notamment de sa période marchande, quand elle avait colonisé Constantinople, envoyait ses navires à Bruges, à Caffa. Mais c'est peut-être une constante des économies purement marchandes (citons Gênes et Venise médiévales, les cités phéniciennes et l'ancienne Bagdad peut-être) qu'elle ne produisent pas de preuves durables de leur prospérité - puisque le capital est trop précieux pour se matérialiser dans la pierre, qu'il doit circuler de par le monde. Ce serait précisément quand ces civilisations, devenues suffisamment riches et lassées du risque, finissent par s'adonner aux activités bancaires que l'investissement dans la pierre devient indispensable, pour asseoir une respectabilité douteuse, et utiliser ce trop plein de capital dont on ne sait que faire (citons maintenant Florence, Venise et Gênes aux périodes ultérieures). Il y aurait ainsi toute une théorie à construire entre art et banque, qui pourrait s'étendre jusqu'aux derniers développements de l'art contemporain, tant le marché de l'art semble désormais suivre les pires travers de l'univers financier.*

lundi 29 octobre 2012

Alexandrie, premier siècle après Jésus-Christ

Tout commençait par une sorte de jeu à taille réelle inspiré du film Stargate, auquel nous jouions avec mes amis stambouliotes et ma mère (?). Puis je me trouvais à Alexandrie au premier siècle de notre ère; je dormais dans une pièce au rez-de-chaussée dont je cadenassais avec soin la porte. Toujours dans mon rêve, je lisais quelques pages de Wikipedia (!) qui me plongeaient dans une profonde tristesse. 
C'est alors que Della Rovere, habillée comme la Cléopâtre jouée par Liz Taylor, descendait d'un large escalier, venait vers moi, approchant son visage du mien, cherchait à me consoler en me demandant ce qui me tracassait. Je lui répondais: "Je suis triste de voir que les historiens du futur jugeront notre époque comme celle du déclin de l’Égypte, et qu'ils nous en tiendront responsables."
Drôle d'angoisse...

samedi 27 octobre 2012

Point de lendemain

Et ce rêve mille fois caressé d'une relation qui n'aurait pas de conséquence, "point de lendemain". Comme si une telle chose était possible! Comme si j'ignorais que toute relation avec un être vivant a forcément des conséquences - de même que le moindre battement dans l'air - sous certaines conditions - peut avoir des répercussions incalculables. Et que seuls les plaisirs solitaires ou ceux (semblables) de l'écriture n'ont pas de conséquence - tant que nous parviendrons à en préserver le secret, tant qu'ils s'opèreront aux heures creuses, dans le silence stérile d'une chambre vide, résultats d'une manipulation hâtive, aussitôt jetés dans quelque informe poubelle de la mémoire.

lundi 22 octobre 2012

Un avant-goût acide, et un arrière-goût amer

¡Comme j'allais à reculons vers cette soirée peu prometteuse, au point que même della Rovere me recommandait de faire demi-tour! La perspective de cette éclosion de femmes enceintes dans mon entourage, l'habituel small talk sur l'immobilier, les questions intrusives sur ce qu'il y a de nouveau à "raconter de beau"... On ne se rend pas compte de tout cela tant que l'on n'est pas devenu un homme de trente ans comme les autres - et il fallait bien que cela arrive!
La première heure fut telle qu'escomptée... Puis, comme se transforment parfois miraculeusement les situations dont nous n'attendions que vide et ennui, ou, ainsi que dans les contes, sous l'effet magique des douze coups de minuit, les citrouilles se transforment en carrosses, les crapaudes en princesses charmantes, je fus soudain projeté dans une toute autre soirée - une musique surgie d'un coin de la pièce, des guitaristes sur les canapés, une chanteuse américaine (?), un agréable vin portugais... Il faut dire que les femmes enceintes étaient parties se coucher, que les langues se déliaient, des souvenirs refaisaient surface, murmurés par d'anciens visages admirés que le temps n'a pas encore usés - une foule déjà présentée à mots couverts dans ces brèves.
Par exemple Puck*, me répétant qu'avec les années ses facultés d'apprentissage s'amoindrissaient (je soutenais le contraire*), qu'il lui suffisait autrefois de passer deux semaines dans un pays pour s'en approprier la langue, qu'il ne peut plus rien retenir. Nous étions certes de telles éponges! Mais nous nous essorions beaucoup aussi, pensai-je immédiatement, nous abandonnions rapidement nos maîtres après les avoir copiés sans discernement; nous manquions de consistance. Il nous serait tellement impossible, comme dans ce magnifique film récent, de "redoubler", de retourner dans les salles de classe. Car nous avons compris la valeur des choses, la valeur d'apprendre pour soi et non pour quelque examen futile. Nous avons appris à vivre.
Et tandis que j’échafaudais ces constructions précaires, je me rendais compte, également, que les anciennes angoisses ne m'ont jamais quitté, que je me pose toujours les mêmes questions, y apportant les mêmes réponses inconclusives. "Quelque choix que j'eusse fait à l'époque, il m'aurait mené au même désastre"; "Ce champagne avait un avant-goût acide, et un arrière-goût amer" - style de phrase où je cherchais quelque profondeur, l'expression d'une métaphore nouvelle... Puis une amie illumina les premières heures, évoquant le destin du Dominiquin, que ses activités professionnelles amènent à couvrir une vaste zone comprenant la Grèce, la Turquie, Chypre, le Liban et Israël - le Levant! où me portent rêves et projets!

dimanche 21 octobre 2012

Opt out

Tout le monde semble considérer avec scepticisme - et même, indifférence - les rumeurs venues d'outre-Manche relatives à un possible référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne. L'échéance se rapproche, 2015 peut-être? mais rien ne semble fait ni pour s'y préparer, ni pour chercher à en dissuader les Britanniques. En France, il est probable qu'une telle perspective est ressentie avec soulagement, avec ironie aussi, quand au même moment l’Écosse, par un curieux effet mimétique, envisage de se retirer d'une union tricentenaire avec l'Angleterre (2014).
Il n'y a pourtant pas de quoi sourire. Le retrait d'une des plus grandes nations d'Europe, d'un des piliers de notre civilisation, se fera durement sentir, et sera le signe d'un cruel échec, le début de la fin peut-être. Car jusqu'ici le projet européen était demeuré attirant - ou, à défaut, mieux valait y participer (sauf pour les quelques nations égoïstes et médiocres qui s'en étaient tenu éloignées). Pour les Britanniques, cela ne changera sans doute pas grand chose à très court terme. Mais c'est surtout pour les nations et institutions restantes qu'il faudra sérieusement s'inquiéter: voudra-t-on voir l'ensemble continuer à se déliter, ou faudra-t-il créer quelquechose de nouveau? Autour de qui?

dimanche 14 octobre 2012

"Absurdistan"

Feuilleté dans une librairie un bouquin intitulé Promotion Ubu Roi d'un certain Olivier Saby*. Ancien élève de l'ENA, il raconte les 24 mois qu'il y a passés ainsi que les périodes de stage, les absurdités du système, sa déception face à ses "camarades" et à l'administration en général, avec encore une fois le message purement négatif (et si facile!) que je viens d'évoquer. J'ai failli l'acheter, puis je me suis ravisé, préférant allouer mon temps, et surtout mon argent, à d'autres dépenses autrement plus enrichissantes.
Car, finalement, ma courte expérience des institutions publiques, des entreprises, du monde étudiant, de la vie même, m'incite à penser que tout peut faire l'objet d'un récit ubuesque, si l'on choisit de considérer les choses sous cet angle. Les intérêts sont si divers, les imprévus si nombreux, les choix si difficiles*! Les échelles de temps s'affrontent. Il n'y a aucun domaine où la décision rationnelle soit possible, pas même dans l'économie et la finance qui pourtant s'en flattent. Non qu'il faille se satisfaire du monde tel qu'il est, ou ne pas être indigné... Mais le champ de l'action n'est justement pas celui de la contemplation ironique et amusée.

Après la longue gestation de l'oubli

De Jean-Christophe Rufin (Le grand cœur*), cette phrase qui résume bien le processus littéraire, ou plus exactement le processus de la réminiscence poétique, de la deuxième naissance, la vraie: "Lorsque je me discipline à former des phrases, lorsque je me force à mettre de l'ordre dans ce que la vie a jeté pêle-mêle en moi, je ressens dans les doigts et dans l'esprit une douleur bien proche de la jouissance. Il me semble que je participe d'une façon nouvelle au laborieux accouchement par lequel ce qui est venu au monde y retourne, en forme d'écriture, après la longue gestation de l'oubli."

Pour le reste, il est vrai que la vie de Jacques Cœur est une des aventures les plus extraordinaires de l'histoire de France, et j'ai hâte de me reclure pendant quelques heures dans ce livre.

samedi 13 octobre 2012

No vale nada desde que...

Longue et pénible conversation il y a quelques semaines avec un indignado poussant la caricature dans ses arguments comme dans son physique, sur cette vieille question de l'Europe démocratique ou non... Tous les clichés y sont passés, et certes le système est infiniment perfectible - mais je crois que fondamentalement apparaissaient dans son quasi-monologue deux problèmes plus larges. 
Le premier est la crise de la démocratie participative - qui est un problème commun à la plupart des sociétés occidentales, devenu plus criant encore avec l'essor de la démocratie d'opinion véhiculée par Internet, avec la contradiction entre d'une part l'exigence de mobilité liée à la mondialisation, et d’autre part le nécessaire ancrage très local du monde politique. Aucune institution ne trouvait grâce à ses yeux (surtout pas les parlements nationaux considérés comme corrompus ou pour le moins douteux). 
Le deuxième est le problème spécifique et originel de l'Union: c'est l'absence d'un peuple européen. Peut-être que l'envie de solidarité était plus forte auparavant (j'en doute), et il est vrai que la crise économique a accru les tensions. Dans ce contexte, il apparaît difficile qu'une démocratie européenne surgisse du jour au lendemain. Peut-être à très long-terme, avec quelques mécanismes communs, avec des échanges humains et culturels plus importants... Bref, tout cela demeurait assez improductif.
 
Quand, au milieu de ce marasme, est survenue l'étrange décision de décerner le prix Nobel de la paix à l'Union européenne - une annonce qui a frappé le monde de stupeur (pour un court instant). Croisant de nouveau l'indignado, il se montra cette fois peu loquace et guère impressionné, car le prix Nobel "ne vaut plus rien depuis qu'il a été attribué au président américain [Barack Obama]"... 
Comment rendre ce sentiment d'impasse totale, dans les écrits les plus doctes comme au détour d'une conversation innocente? C'est sans doute ce même désespoir face à la marche du monde, la nécessité de sa destruction, qui a poussé Meyr au suicide*. Se souviendra-t-on même, dans vingt, dans cent ans, que les meilleurs esprits contemporains comme une partie de la jeunesse capitulaient devant l'absence de solutions, portant leurs regards sur des passés ou des futurs improbables, n'aspirant qu'à un anéantissement salutaire?

jeudi 11 octobre 2012

Mesure de rétorsion

Opportunité de retourner à Florence dans le cadre d'une conférence professionnelle - alors que, suite à mes mésaventures de l'automne dernier*, je m'étais juré de ne plus y remettre les pieds pour une durée indéterminée - par mesure de rétorsion... 
En lisant le courriel d'invitation, je me suis de nouveau imaginé là-bas, allant rendre visite aux mages de Gozzoli, découvrant le Bargello pour lequel le temps nous avait manqué, arpentant la campagne autour de Pienza - dont la beauté m'avait stupéfié lors d'un voyage assez antérieur -, déposant une fleur sur la tombe imaginaire du Florentin...
Je ne sais pas combien de temps durent mes anathèmes. La même sanction avait été prononcée contre Londres après ma rupture avec Irène Adler (qu'y avait-il pourtant à rompre?), et pendant deux ans je m'y étais tenu. Puis j'y suis retourné plusieurs fois, ensevelissant dans un pli profond de ma mémoire le souvenir même de la personne et des événements qui m'avaient fait maudire la cité.

mardi 9 octobre 2012

Une pièce qui l'intéresse infiniment

Voilà que je suis tombé dans le piège que je dénonce, lorsque je mêle le sentiment à l'Histoire, imaginant le désarroi de Casanova à la nouvelle de la chute de Venise... Car en relisant la préface de l'Histoire de ma vie, je me demande si Casanova n'a pas vu les choses tout autrement. 
S'il ne parle certes pas de façon explicite des événements qui secouent la France, l'Europe et l'Italie, ne peut-on pas en deviner l'empreinte quand il déclare que "la mort est un monstre qui chasse du grand théâtre un spectateur attentif avant qu'une pièce qui l'intéresse infiniment finisse"? Effectivement, quel dommage de mourir au milieu de révolutions si profondes, sans en connaître l'aboutissement (c'est en un sens ce que j'ai reproché à Meyr*, et une bonne raison de rester en vie de nos jours). Par ailleurs, rien ne prouve qu'il désapprouvait le cours des choses, lui qui avait tant éprouvé la contrainte du régime vénitien, lui qui rajoute in extremis, en évoquant les erreurs ayant mené au partage de la Pologne, que "Venise aujourd'hui n'existe plus que par sa honte éternelle", et qui s'exclame finalement "peut-on par exemple inventer rien de plus beau en matière de langue qu'ambulance, franciade, monarchien, sansculottisme? Vive la République. Il est impossible qu'un corps sans tête fasse des folies."


PS: "En 1821, j'avais beaucoup de peine à résister à la tentation de me brûler la cervelle. (...) Il me semble que ce fut la curiosité politique qui m'empêcha d'en finir; peut-être, sans que je m'en doute, fut-ce aussi la peur de me faire mal." - Stendhal, Souvenirs d'égotisme

jeudi 4 octobre 2012

Je n'ai pas d'autre ambition

Lecture de quelques extraits du journal de Gide, un des rares écrivains d'alors à avoir traversé les années sans trop de casse. Car il faut lui reconnaître le mérite de s'être gardé des idéologies, d'avoir su bien penser à une époque où il ne suffisait pas de professer quelques idées politiquement correctes pour exister comme intellectuel. Seules ses mœurs le condamneraient aujourd'hui à la délation sur les réseaux sociaux, à la bastonnade ou à la prison.
Et mon éloge ne s'arrête pas là, car je découvre dans ces pages l'essentiel de ce que j'ai pu tenter d'écrire ces dernières années, en infiniment mieux dit bien sûr. D'ailleurs j'invite le malheureux lecteur échoué sur ce site à changer de fenêtre, et à faire l'acquisition sans plus tarder de l'ouvrage, résumé ou intégral.

Quelques exemples:

1901: ... mes actes les plus beaux, ou du moins ceux qui m'apparurent tels, sont ceux dont la beauté m'a surpris. Et l'ivresse qu'alors je ressentais soudain m'emplissait de ce particulier vertige qui permettait l'oubli de soi, de cette force aussi qui m'eût rendu capable de tout faire. En ces instants, je sentais, comme malgré moi, mon être tout entier se tendre, se raidir, se durcir; je devenais mauvais contre moi-même et prenais joie à me traiter rudement. Parfois, convaincu que j'étais que toute action de moi tournerait toujours à la plus grande glorification de ma vie, je rêvai, presque par dépit, de m'abandonner à moi-même, de relâcher ma volonté, de me donner répit et loisir. Je ne le pus jamais, et compris que la contrainte était chez moi plus naturelle que ne l'est chez d'autres l'abandon au plaisir, que je n'étais pas libre de ne pas vouloir, de me détendre et de cesser de résister; et je compris du même coup que, de cette absence de liberté précisément, venait la beauté de mes actes.

1905. Dimanche. De retour à la maison, je m'esquinte à ranger des papiers et à faire ma malle. Elle est comme mes livres, comme la moindre de mes phrases, comme ma vie tout entière: j'y veux faire tenir trop de choses.

1911. Je me désole à penser que, plus tard, ma mémoire affaiblie ne saura me présenter ma sensation d'aujourd'hui, pourtant si vive, et que celle-ci, perdant toute netteté de contour, tout accent, ne m'apparaîtra plus que pareille à ces médailles dont s'est effacée l'effigie, hélas, frustes à présent, pareilles à toute autre médaille dont seul l'éclat du métal aminci indique encore qu'elle était précieuse.

1914. En mer Adriatique, 29 mai. Calme voluptueux de la chair, tranquille autant que cette mer sans rides. Équilibre parfait de l'esprit. Souple, égal, hardi, voluptueux, tel le vol à travers l'azur brillant de ces mouettes, l'essor libre de mes pensées.

Mais je note que Gide lui-même avait ses propres modèles. Ainsi écrit-il, en 1902, "Que plus tard, un jeune homme de mon âge et de ma valeur soit ému en me lisant comme je le suis encore à trente ans en lisant les Souvenirs d'égotisme de Stendhal, je n'ai pas d'autre ambition. Du moins me semble-t-il en les lisant." Abandonnons peut-être également Gide et remontons à la source, vers Stendhal où tout semble mener... Je dois avouer que je n'avais jamais pensé à lire ce livre.

Parc de la mairie du Vème

Rêve d'une conversation avec Charles Pasqua (le vrai*!), une sorte d'entretien d'embauche peut-être, qui se déroulait lors d'une après midi ensoleillée, dans le "parc de la mairie du Vème" (comme par hasard) qui s'avérait plutôt être une sorte de Musée Rodin un peu délabré. Je lui parlais de mes différentes expériences professionnelles, il me montrait ses badges d'accès au Sénat. Nous évoquions une possible collaboration ultérieure. Mais surtout, il me semble que nous avons longuement parlé de la vie politique française des trente dernières années...
Hélas, au réveil, il ne me restait pas même une bribe de ses (sans doute) très instructives paroles!

lundi 1 octobre 2012

Venise après Venise

Fini en peu de temps, grâce à un paisible dimanche ensoleillé, la somme de Frederic C. Lane sur l'histoire de Venise. Cette lecture est enrichissante, copieuse... Et pourtant je reste sur ma faim! Comme pour René Grousset (qui arrête son Épopée des Croisades en 1291) ou d'autres, je regrette qu'il n'y ait pas plus d'éléments sur Venise après sa chute. C'était tout l'intérêt du livre d'Eileen Power d'avoir su raconter la transition du Ve siècle, le fait que les contemporains n'avaient pas vraiment mesuré la fin de leur civilisation. Par exemple, qu'est-il advenu de cette orgueilleuse aristocratie vénitienne, de ces manufactures, des réseaux d'échanges?
Un peu d'histoire-fiction aurait été bienvenue: Venise aurait-elle pu rétablir ses institutions pendant ou après l'épisode napoléonien, dans le cadre d'un équilibre de puissances? Certes pas comme un empire maritime (car au temps des "nationalités", elle n'aurait pu maintenir sa domination sur les grecs, sur les slaves), mais comme une cité-état: après tout, ce n'est pas plus fantaisiste que la préservation jusqu'aujourd'hui de stupides territoires comme Monaco, Saint-Marin, le Liechtenstein. Venise aurait pu se démocratiser, et réinventer son fonctionnement économique: son site portuaire, quelques activités touristiques (comme elles s'amorçaient déjà au XVIIIe siècle), le jeu "à la Macao", un centre de finance offshore... La situation économique en 1797 n'était pas si piteuse: l'auteur sous-entend même que Venise avait su tirer parti des rivalités franco-anglaises liées à l'indépendance américaine, et était redevenue, à la faveur de la révolution française la principale force commerciale du Levant. Quant à la situation sociale, elle n'était pas plus sclérosée que dans le reste des États italiens, et aurait sans doute pu s'améliorer sans peine. Je ne crois pas aux mouvements inéluctables*. La décadence de Venise nous apparaît totale uniquement parce que nous connaissons la suite des événements.
De même la chute de Constantinople n'était sûrement pas inévitable. Les Grecs avaient la ressource d'une large population; ils auraient pu se ressaisir, comme ils l'avaient fait au VIIe et au XIe, quand l'empire était déjà sur le point de disparaître. Si Byzance n'avait pas eu le feu grégeois en 673, ou s'était effondrée face aux Seldjoukides après Mantzikert, nous (mais qui serions-"nous"?) conclurions sans doute à l'impossibilité qu'elle se maintienne pour plusieurs siècles.
Quant à Venise, c'est le même processus de périls gravissimes (la guerre de Chioggia) et d'éclatantes réinventions: par exemple la reconversion du prospère emporium en une puissance manufacturière, agricole et financière, entre le XIVe et le XVIe. Feuilletant l'Histoire de ma vie que j'avais un peu délaissée ces derniers temps*, j'espérais retrouver ce qu'en disait quelqu'un comme Casanova à l'approche des événements (jusqu'à ce que je me rende compte que le livre s'achève bien avant). L'écho a dû lui parvenir jusqu'au lointain château de Dux - puisqu'il est mort en 1798 - mais a-t-il seulement cru à l'écroulement irrémédiable de la République? Et si oui, quelle fin éprouvante... quel désastre, en effet: la risée de ces inférieurs inconnus, la lente montée de l'humidité et de la mort, le refuge dans un passé réenchanté - pour mieux mystifier les générations futures!

vendredi 28 septembre 2012

Mille ans après (2)

D'ailleurs, ce serait intéressant d'écrire un livre sur "les croisades après les croisades": un roman peut-être, qui commencerait à la chute de Saint-Jean d'Acre, se poursuivrait à Chypre et en Europe, avec en toile de fond les péripéties du règne de Pierre Ier (dont je viens de découvrir l'existence grâce à René Grousset*). Cela montrerait un aspect méconnu du Moyen-Âge, une humanité bien plus raisonnable que ce que l'on imagine habituellement.

Madonna dell'Orto

Il avait admis la sanction. Sans révolte, il avait descendu le chemin, s'était penché au bord du précipice, conscient de sa faute, quand d'autres hurlaient, s'acharnaient encore à espérer une place parmi les justes, et que très haut, dans une orbe trop lointaine, à peine visible, Dieu avait pris la peine de le condamner*. Il n'y avait plus rien à dire.
Mais alors qu'il s'apprête à quitter l'image, une main déjà au dessus du vide, il se sent soudain enveloppé, agrippé. Plongeant depuis les sinueuses hauteurs, un ange a traversé les foules et les nuages. Il lui glisse un mot, le retient fermement, l'emmènera bientôt. L'homme hésite entre surprise confuse et violente sérénité: à quel instant oublié, à quelle prière amie, à quel bref remord, doit-il une si spectaculaire rédemption? N'avait-t-il pas toujours agi en connaissance de cause, dans la conscience d'une chute volontaire?

lundi 24 septembre 2012

Taille critique

Je rajoute quelques libellés supplémentaires aux différents messages, pour permettre de retrouver plus facilement un thème, une référence: ce blog commence à atteindre une taille critique, au point que j'oublie parfois certaines anciennes déclarations contradictoires ou certaines redites (non que la contradiction ou la répétition me gêne, mais cela permettra au lecteur de me juger plus sereinement). Je garde les sept libellés principaux (prologue, le monde, la cité, l'homme, les mots, les rêves, épilogue), auxquels un jour on pourrait rajouter "les images", peut-être: chaque message devra se rapporter à un seul de ces libellés, et l'ensemble de ces libellés contiendra tous les messages.

dimanche 23 septembre 2012

Va comprendre!

"J'aurais bien mis de ce parmesan dans mes pâtes", pensai-je en quittant le concert, faisant même un détour par l'endroit où j'avais trouvé la viande des Grisons*, il y a un mois. Pourtant, au réveil, seule me restait en tête l'image des jambes de la chanteuse, fines et fragiles (elles semblaient déjà moins fragiles dans le jean qu'elle portait en sortant de la salle), et sa voix caressante, son visage étroit, aux yeux allongés...

samedi 22 septembre 2012

Depuis Venise

Et, de Venise, j'écrivais par courriel à un collègue "qu'on ne s'en lasserait jamais" [curieusement, ma mère a utilisé exactement la même formulation dans un message postérieur] - quelle baliverne! Il faudrait être un peu plus réfléchi, perspicace, dans la vie extérieure comme dans l'autre. Car qui peut bien croire à de telles sornettes? Qui peut croire qu'on ne se lasserait pas après un mois, après un an, d'une ville qui a perdu ses élites, qui a perdu sa substance populaire? Ou pour le dire autrement, d'une ville qui offre au visiteur une succession de photos d'une beauté incomparable, d'instants merveilleux arrachés au présent, mais dont, finalement, la somme ne constituerait pas même un film, n'aurait plus aucun sens.

vendredi 14 septembre 2012

Cartographie des nuages

Tandis que j'observe depuis le hublot les cataractes des cumulus, les tracés des fleuves, des champs, je me rends compte que je suis demeuré "l'enfant amoureux de cartes et d'estampes" - seule fidélité aux passions d'autrefois, renforcée encore par Google Maps, qui permet d'infinis voyages le long des côtes, au cœur des villes, la traversée de l'Italie, des déserts arabiques.

Et c'est aussi dans le temps que je voudrais voyager*, dans telle reconstitution pointilleuse de Constantinople*, dans la contemplation des vieux empires écroulés, du Songhaï, de la Horde d'or, sur la route de la soie, vers les échelles du Levant, dans l'évocation magique de Samarcande, de Khanbalik, de Tombouctou, de Tenochtitlan.

Puis, dans un troisième souffle, voyager vers les domaines imaginaires, les lieux rêvés dont le dessin demeure si précis, la terre de Moreiro*, la cartographie des nuages*.

mercredi 5 septembre 2012

Mille ans après

A lire quelques ouvrages déjà anciens sur les croisades*, on ne peut s'empêcher de juger avec sévérité et quelques regrets les péripéties qui ont entraîné la fin de la présence "franque" en Orient, la succession des épisodes douloureux et des occasions manquées, les dissensions entre barons latins, le malheureux règne de Baudouin IV, la duplicité des cités italiennes, l'impossible réconciliation avec la chrétienté grecque, l'abandon par l'Occident de ces expéditions coûteuses et inutiles. Comme si l'histoire pouvait être recommencée, certaines erreurs évitées: par exemple, si les croisades populaires ne s'étaient pas perdues dans les steppes d'Anatolie, et avaient permis de fournir aux États latins la quantité d'hommes qu'il aurait fallu pour se maintenir - si les divisions entre les potentats musulmans de Syrie et d’Égypte avaient pu être entretenues - si l'invasion mongole n'avait pas échoué face aux Mamelouks - etc.
Tout cela est absurde. Je ne suis certes pas un partisan des théories sur les mouvements inéluctables, les longues échéances... mais je serais prêt à faire une exception pour les croisades, dont les succès initiaux ont surpris à l’époque et continuent à nous surprendre. Le "miracle" est davantage que cette conquête ait duré aussi longtemps, pour des destinations si lointaines, avec si peu d'hommes!
Après la prise de Saint-Jean d'Acre, les contemporains ont très bien compris qu'il n'y avait plus lieu de continuer, qu'il valait mieux prospérer par le commerce: il suffit de considérer la fin de non-recevoir que les Vénitiens ont adressée au roi de Chypre Pierre Ier, quand celui-ci a voulu reprendre la conquête de l’Égypte.*
De plus, si l'on se réfère aux motifs juridiques initiaux, il n'y a sans doute aucune raison de considérer les croisades comme un échec. Car il ne s'agissait pas (officiellement) de nourrir les ambitions territoriales de barons cupides, des Bohémond, Tancrède, Raymond de Saint-Gilles, mais de permettre le libre passage des pèlerins chrétiens à Jérusalem. Si l'on s'arrête à cet objectif, les croisades ont suffisamment marqué les esprits pour que ce libre passage ait depuis presque mille ans toujours été grosso modo préservé; plus jamais n'ont eu lieu les destructions commises par un Al Hâkim. Pour le reste, notre perception des événements évolue au gré de nos relations avec le monde musulman et de notre propre échelle de valeurs, passant d'un souvenir glorieux à une action un peu honteuse, dont les motifs religieux nous paraissent douteux, et les modalités, cruelles.

mardi 4 septembre 2012

Le coup de grâce

Que le déjà cité EM (Best) fût devenu un bon père de famille, un papa qui s'occupera sans doute très bien de sa fille, "this is the last straw" pensai-je en découvrant l'information sur Facebook - et songeant à mes propres échecs*. Y a-t-il pourtant là matière à s'étonner? Cet homme est un Übermensch, qui réconcilie les contraires, la mélancolie et le contentement*, la vie artistique et la vie économique*, la liberté et l'engagement*, l'éloignement et l'atteinte, et bien d'autres cordes pour bander son arc.

dimanche 2 septembre 2012

Les idiots utiles, et les autres

Cette caricature de Plantu illustre bien le changement d'opinion qui se fait sur la Syrie. Au lieu de rebelles parés de toutes les vertus, nous percevons maintenant de douteux combattants pas forcément bien intentionnés - et la destinée malheureuse des printemps arabes ne nous incite guère à la complaisance.
C'est comme si soudain nous comprenions le bien fondé de notre realpolitik antérieure, notre soutien à des régimes qui nous faisaient honte (à juste titre), mais qui se présentaient comme les ultimes remparts face à l'islamisme, et que nous tolérions/soutenions comme tels. Loin de combattre l'islamisme, ils l'ont pourtant gardé sous cloche, de façon à pouvoir justifier leur existence - et quel dommage que nous n'ayons jamais pu trouver un régime laïc qui ne fût pas corrompu ou militariste, une authentique démocratie dans un état de droit, qui aurait pu servir de modèle aux autres (certes, il y a le "modèle turc", mais son évolution très récente est assez douteuse).
D'ailleurs, on peut déjà voir un peu plus loin, les "islamistes modérés" de Tunisie ou d’Égypte vont jouer exactement au même jeu, en laissant la bride à des mouvements plus radicaux, à des idiots utiles, pour se présenter comme un moindre mal aux yeux de l'Occident et de leurs propres populations aveuglées. Il suffit de voir les molles réactions des autorités tunisiennes face aux bastonnades et autres joyeusetés menées continûment par des groupuscules salafistes (qu'il ne semblerait pas difficile de faire taire), pour se faire une idée assez fidèle de leur politique à venir et de la façon mesquine et peu inventive qu'ils auront de se maintenir au pouvoir. Dommage, car nous y avons cru nous aussi.
Quant à la Syrie, il est probable que le régime ne tombera pas malgré ses atrocités, et nous n'interviendrons jamais sauf énormité (par exemple, l'usage d'armes chimiques, ou des interventions étrangères lourdes). Le temps a joué pour le régime, la fin amère des illusions printanières*...

Dans huit jours, huit mois, huit ans...

Rêve d'une nouvelle idée*, dont la relation paraîtra un peu décousue. Mais je suis certain que tout y avait été très précis et logique.
L'idée était à peu près la suivante: un artiste commence à ne faire que reproduire d'anciennes œuvres, ruinant sa cote et dévalorisant sa production; son galeriste se trouve confronté au choix de le laisser mourir (car il est atteint d'une maladie dont le traitement a un prix astronomique), ou bien de céder à son amitié et de le laisser vivre et produire. Choix entre l'art et l'amitié. "J'ai bon espoir, disais-je dans un soupir, marchant sur l'arête d'un palais enchanté, que l'amitié triomphera de l'art."
Puis, pour me renseigner sur la profession, j'allais voir une galeriste parisienne "célèbre": elle avait un nom italien et avait l'apparence de cette vieille professeur d'espagnol un peu ronde que j'ai entrecroisée récemment par hasard dans un endroit inattendu. Je lui demandais quel était son chiffre d'affaires (elle bottait en touche), et si elle suivait les artistes tout au long de leur carrière. Puis Kofi Annan (le vrai, ce n'est pas un nom de code pour une fois) entrait, et la galeriste me disait avoir plusieurs fois traité avec lui "à Lisbonne et avant à Naples". Je poursuivais, demandant si elle cherchait à guider les choix artistiques des peintres qu'elle exposait, par exemple, en lui désignant des toiles de la galerie, si elle avait eu quelque influence dans les peintures "d'une grosse femme jaune ou d'une danseuse orange*".
Elle était en train de s'affairer à rouler un tapis, et je la gênais manifestement. Elle semblait avoir des doutes sur le sens de mes questions, et je prétendis vouloir écrire écrire une pièce de théâtre. "Je vous aime bien, déclara-t-elle à mon grand étonnement, je vous écrirai ce soir, quand finirez vous votre pièce? Dans huit jours?" Et je lui répondis exactement "Oh, huit jours, huit mois, huit ans, cela peut aller vite ou très lentement."

*: ce n'était pas exactement, dans mon rêve, cette "Danseuse rouge" de Van Dongen*, mais les deux peintures étaient à peu près dans le style fauviste, entre Van Dongen et Modigliani.

vendredi 31 août 2012

Vanitas

La Chartreuse de Champmol que, sans doute par assonance, j'avais imaginée au milieu d'une douce campagne sillonnée de paisibles ruisseaux, surmontée de vignes sages. Là devaient reposer, guettées par les statues de Claus Slutter dont j'avais admiré les photographies, les dépouilles des Grands Ducs d'Occident et de leurs épouses, drapées dans une éternité légendaire.
Difficile d'accès, bordée de voies ferrées, d'autoroutes, dans un sinistre hôpital au milieu d'un quartier déshérité, j'ai fini par trouver les quelques restes de la grandiose chartreuse détruite - et même le puits de Moïse ne m'a plus paru qu'une grotesque construction de carnaval.
Alors, bien sûr, Jérusalem et Rome nous ont maintes fois rappelé que nous "sommes poussière et retournerons à la poussière", ou que "sic transit gloria mundi" - mais s'il n'y avait que cela! Car il faudra encore supporter bien d'autres tourments. Il faudra que les derniers lieux sur lesquels nous avons posé nos regards émerveillés, où nous avons envisagé la possibilité d'une félicité éternelle, soient recouverts de voies rapides, de supermarchés, de "marsoports" peut-être, d'où s'enfuiront hâtivement, sans aucune nostalgie, de nouvelles civilisations indifférentes.

lundi 27 août 2012

De toutes les villes ultérieures

Cette impression vertigineuse (au sens propre) de se retrouver dans une ville habitée pendant presque un mois, il y a quinze ans, et de n'en rien reconnaître, sauf un ou deux éléments liés à quelques photos. Peut-être étais-je alors moins attentif aux choses; peut-être flottais-je encore dans l'indifférence polie de l'enfance? De toutes les villes ultérieures, mêmes celles rapidement traversées, de toutes les autres découvertes depuis l'adolescence, j'ai gardé un souvenir infiniment plus précis - ou n'est-ce qu'une impression? Mauvais compagnon de voyage, j'exigeai de quitter au plus vite cet endroit, dont j'avais pourtant promis monts et merveilles.
Quand soudainement j'ai retrouvé, derrière une façade plus chic, le centre commercial où j'avais pour la première fois acheté un vêtement choisi moi-même, avec mon argent de poche. C'était un pull à capuche Marks & Spencer - suffisamment banal pour avoir traversé les années avec moi, plus fidèlement que la mémoire!

vendredi 24 août 2012

Souvenir d'un autre ciel gris

Et tandis que je chevauchais dans la campagne irlandaise (!), sous un ciel gris aux riches nuances, le souvenir d'un autre ciel gris m'est soudain revenu.
Les cours à l'université n'avaient pas encore repris, et nous nous trouvions tous chez mes parents à M* (chose rare). J'étais allé au cinéma avec ma sœur. Peut-être le temps était-il plus lumineux que je l'imagine? Tout me semble lent et triste.
Nous sommes sortis du cinéma, avons pris le tramway, et ce n'est qu'en arrivant à la maison, voyant le visage grave de mon père, que nous avons deviné que le monde avait basculé - cette impression que chacun a sans doute ressentie en découvrant, sur sa télévision, les images insoutenables du 11 septembre 2001.
Pourtant, je me souviens aussi que ce mois fut chargé: la vie a continué comme avant. Peut-être avec le recul d'une décennie pourrions-nous même conclure que cet événement n'a pas changé grand chose, n'a pas eu l'impact que nous avions pressenti, autre qu'une spectaculaire opération et ses victimes directes. Les guerres d'Afghanistan, d'Irak, n'ont servi à rien. Quant au monde musulman, tout porte à croire que cet événement, loin de précipiter les choses, n'a fait que les retarder de dix ans - y compris pour l'Islam politique que le 11 septembre a discrédité et qui aura dû attendre les révolutions de l'an dernier pour s'imposer.

lundi 20 août 2012

Le soleil noir

Oui, nous écoutions ces insurpassables chansons*** de Barbara (que Paul Toussaint avait célébrée à une époque ancienne), ensablés dans notre mélancolie, inconsolés. Pour le dire en termes d'alors, nous "jouissions de notre différence"; et cette mélancolie était devenue un blason que nous arborions en toute occasion.
Pendant longtemps, nous avons cru que cela nous donnait une supériorité sur les autres: parce que nous avions lu quelques livres de plus*, étions sensibles à tel poème* ou à telle musique*, nous valions mieux que ces êtres contents, sportifs, qui savaient où ils allaient, qui "bâtissaient quelque chose de fort"*. (Curieusement, à leurs yeux, ce recul semblait leur inspirer un respect distant - et je me suis souvent étonné de ne presque jamais avoir été un souffre douleur). Jusqu'à ce que nous comprenions, bien des années après, qu'il n'y avait aucune gloire à tirer de notre détresse - qu'elle n'était que la marque honteuse de notre inadaptation à la vie.
Nous croyions connaître le monde, et méprisions ces faux rivaux avec l'assurance que "la vie allait les corriger". Mais l'inverse s'est produit; elle les a comblés de bienfaits: bonne situations, beaux/belles partenaires, joyeux enfants sages. Tandis que nous luttons toujours, par vent debout, louvoyant contre les évidences, dans l'unique espoir de leur ressembler.

samedi 18 août 2012

La créature elle-même sera libérée

Que la chrétienté médiévale se soit intéressée au salut des animaux et à leur âme, voilà une information extraordinaire. "La créature elle-même sera libérée de la servitude de la corruption, pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu" (Saint Paul, Ro 8-21).

Stratagèmes

Ces affaires de Trajan et de Graubünden me font penser que j'aurais pu me satisfaire de telles relations dans le temps futur. Ce qui m'y a fait renoncer, l'angoisse du "vécu", est sans doute quelque peu caduc. Pourtant je continue à œuvrer pour mes vieux jours, à vouloir finir entouré d'enfants joyeux et insouciants.
Quelquechose me dit que tout cela une mauvaise stratégie, qu'il ne faut penser qu'à soi et à son bien-être présent. La vie est sans doute plus ironique et tortueuse que nos petits calculs; quant à ma propre mort, ce n'est pas forcément un sujet qui m'inquiète.

jeudi 16 août 2012

La ceinture brisée.

Je n'avais pas mesuré son déclin. Il aura fallu cet accident final pour se rendre compte que la ceinture pourtant chère payée était d'une qualité déplorable, qu'elle n'était pas de plein cuir, mais consistait en une ceinture en plastique (?) recouverte d'une fine enveloppe de cuir. Sous le cuir, l'usure de la ceinture intérieure ne pouvait être soupçonnée. L'enveloppe a tenu avec acharnement, et j'ai arboré cette ceinture pendant quelques semaines encore, inconscient de sa fragilité. Puis en peu de temps tout s'est brisé.

2012 prjts

"La manière dont l'information est révélée au spectateur est aujourd'hui figée. Il faut que nous nous renouvelions." (Steven Soderbergh). C'est ce qu'il faut faire, changer la manière de raconter quelquechose au lecteur, de lui faire percevoir les choses - avec aussi de nouveaux projets.

mercredi 15 août 2012

Ellesmere

Vu sur un panneau: "Ellesmere Port". Évocation poétique du mot, la consonance proche d'une "helles Meer" allemande, ou la réminiscence de la lointaine Terre d'Ellesmere, fabuleuse forme crayonnée sur notre mappemonde intérieure, gigantesquement étirée sur les représentations de Mercator, annonciatrice de richesses et de néant.

vendredi 10 août 2012

En lisant l'Histoire de ma vie

En lisant l'Histoire de ma vie, de Casanova, je me demandais si tout cela était inventé, tant cette succession de conquêtes semble fabuleuse... Pourtant, il a bien dû se rendre dans les endroits qu'il décrit, et j'imagine que sa vie non-intime est suffisamment bien documentée pour être exacte, de ses débuts dans l'Empire vénitien à ses pérégrinations en Italie et en Europe, sans parler des fréquentes descriptions de ses maladies vénériennes - au moins peuvent-elle servir de preuves!
Mais comment faisait-il? Il avance un commencement d'explication au détour d'une anecdote où, alors qu'il entreprend trois sœurs genevoises, il chante Gaudeant bene nati ("Qu'ils se réjouissent ceux qui naissent bien pourvus"). Sa culture et sa ruse devaient faire le reste.
Surtout, je me demande s'il existe encore à notre époque des individus semblables, d'authentiques aventuriers qui, au-delà de leurs catalogues de conquêtes (car je suis sûr que d'autres font mieux aujourd'hui), vivent volontairement au jour le jour de petits et grands expédients, dans un univers chatoyant et cultivé... Au lieu de cela, nous nous soucions sans cesse de l'avenir, de la fin de nos contrats, nous comptons mesquinement nos points de retraite, espionnés par l’administration et les réseaux sociaux, rognant sur le présent pour ne pas obérer l'avenir. La certitude de la longévité nous a rendu peureux. 
Certes, Casanova est exactement le contre-exemple, lui qui aurait mieux fait de se préoccuper de ses vieux jours - mais peu lui importait à l'époque; jamais sans doute n'a-t-il pensé qu'il allait vivre aussi loin dans le siècle. La vie était brève - plus dense aussi, peut-être.